Communiquer une information erronée à un seul client est une pratique commerciale trompeuse


Dans sa décision du 16 avril 2015,  aff. C-388/13, Nemzeti Fogyasztóvédelmi Hatóság, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) confirme que la communication par un professionnel d’une information erronée, à un seul de ses clients, peut être qualifiée de pratique commerciale trompeuse au sens de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 (directive PCD).

 

Un consommateur hongrois souhaitait résilier, à moindre frais, son abonnement de télévision par câble afin de changer d’opérateur. Pour que la résiliation prenne effet le dernier jour de la période de facturation annuelle en cours, il a interrogé son fournisseur sur la date de fin du contrat. Il apparaît cependant que l’information fournie était erronée (10/02/2011 au lieu du 10/01/2011), ce qui l’a exposé à des frais supplémentaires pour avoir résilié un mois trop tard. Cela l’a obligé également à s’acquitter de frais d’abonnement auprès  de deux opérateurs pour une même période.

S’estimant victime d’une pratique commerciale déloyale, le consommateur a assigné son ancien opérateur devant les tribunaux hongrois.

 

 

Des décisions nationales contradictoires

Pour la juridiction de première instance, il s’agissait bien d’une pratique commerciale déloyale : « la communication d'une information erronée est en elle-même constitutive d’une violation de l’exigence de diligence professionnelle ». Elle a donc condamné le professionnel au paiement de l’amende infligé par l’Autorité en charge de la protection des consommateurs, précédemment saisie par la victime.

 

Rappel : en vertu de l’article 5 de la directive PCD, une pratique commerciale peut être qualifiée de « déloyale » si les deux conditions suivantes sont satisfaites :

 

  • la pratique est contraire aux exigences de la diligence professionnelle 
  • la pratique susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen. 

 

 

Cependant, la Cour de Budapest a infirmé la décision de première instance, considérant que la violation de l’exigence de diligence professionnelle ne pouvait être retenue « en l’absence d’intention d’induire en erreur le consommateur ».

 

La Cour a constaté également que l’agissement reproché à l’opérateur ne s’inscrivait pas dans un comportement continu. Selon elle, une erreur administrative isolée, qui a affecté un seul abonné, ne pouvait être qualifiée de « pratique ». Enfin, elle relève que le consommateur aurait pu se procurer l’information exacte auprès de plusieurs autres sources.

 

Suite à ces décisions contradictoires, la Cour suprême de la Hongrie s’est tournée vers la CJUE afin de savoir si la communication d’informations erronées par un professionnel pouvait être qualifiée de « pratique commerciale trompeuse » au sens de la directive PCD, alors même que cette communication n’a concerné qu’un seul consommateur.

 

 

Un service après-vente peut constituer une pratique commerciale

En premier lieu, la Cour rappelle que la directive PCD vise à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs. C’est pourquoi la définition de « pratique commerciale » est entendue largement. Elle englobe « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing (…) » (article 2). De fait, cette notion inclut la communication d’une information par une entreprise, notamment dans le cadre du service après-vente.

 

La Cour précise en effet, que cette définition ne se limite pas au domaine de la promotion. Les dispositions de la directive s’appliquent à la vente et la fourniture de biens ou de services. La présente affaire en est une parfaite illustration puisqu’elle porte sur la résiliation d’un contrat d’abonnement.

 

À noter  Cette solution est critiquée par de nombreux auteurs qui considèrent que retenir une notion trop extensive des pratiques commerciales est source d’insécurité juridique. Selon eux, les dispositions de la directive empiètent sur le terrain du droit des contrats.

 

 

Une simple erreur suffit à caractériser une pratique commerciale trompeuse

En second lieu, la CJUE juge que la communication d’une information inexacte est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen. Elle a en l’espèce, « empêché le particulier de faire un choix en toute connaissance de cause et lui a, au demeurant, causé des dépenses supplémentaires » (considérant n°40). Il s’agit donc d’une « pratique commerciale trompeuse » définie par l’article 6, paragraphe 1 de la directive PCD.

 

L’argument tiré du caractère prétendument non intentionnel de ce comportement est, selon la Cour, dénué de toute pertinence. L’article 11 de la directive prévoit en effet, que l’application des mesures prises par les Etats membres aux fins de lutter contre de telles pratiques est indépendante de la preuve d’une intention.

 

La CJUE rappelle également qu’il n’est pas nécessaire de vérifier si la pratique est contraire à la diligence professionnelle lorsque les critères énoncés par l’article 6 paragraphe 1 de la directive, sont réunis. Cette solution présente moins d’intérêt dans la mesure où elle ne fait que confirmer la jurisprudence antérieure (CJUE, 19 septembre 2013, aff. C-435/11, CHS Tour Services GmbH contre Team4 Travel GmbH).

 

 

Un comportement isolé à l’égard d’un seul consommateur

Pour la CJUE, peu importe que les faits ne se soient produits qu’une seule fois et pour un seul consommateur. La directive PCD ne comporte aucun indice permettant d’affirmer que « l’action ou l’omission émanant du professionnel devrait présenter un caractère répété ou concerner plus d’un consommateur » (considérant 42).

 

La Cour replace la protection du consommateur individuel au cœur de la directive et lui facilite ainsi l’accès à la preuve. Il n’incombe pas au consommateur « d’établir que d’autres particuliers ont été lésés par le même opérateur », preuve qui en l’espèce, aurait été extrêmement difficile à rapporter (considérant 46).

 

À noter  La solution retenue par la CJUE va à l’encontre des conclusions de l’avocat général qui estimait que la directive avait pour objet de protéger exclusivement les intérêts collectifs des consommateurs (conclusions de l’avocat général présentées le 23 octobre 2014, considérants 22, 23 et 32). Selon lui, le droit (national) des contrats a seul vocation à réparer les cas individuels.

 

Cette décision est transposable en droit français. L’article L. 120-1 du code de la consommation pose un principe général d’interdiction des pratiques commerciales déloyales. Elles comprennent notamment les pratiques commerciales trompeuses qui reposent sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur le consommateur. Ces dernières sont sanctionnées pénalement de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 300 000 euros (article L. 121-1 et suivants du code de la consommation).

 

 

Marie Martin,
juriste à l’Institut national de la consommation (INC)

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