Assurance emprunteur : le droit de résiliation annuelle validé par le Conseil constitutionnel


L'amendement Bourquin (article 10 de la loi du 21 février 2017, publiée le 22 février 2017, qui amende la loi Hamon n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire), a prévu la possibilité de résilier annuellement son contrat d'assurance emprunteur. Cette possibilité a été ouverte à tout le stock de contrats en cours au 1er janvier 2018. Cependant, les banques ont introduit une question préjudicielle de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel pour s'opposer à cette loi (voir notre fiche : Assurance emprunteur : la résiliation annuelle encore incertaine). La Cour a décidé que la loi était conforme à la Constitution, dans une décision n°2017-685 QPC du 12 janvier 2018.


Pour rappel, la question préjudicielle de constitutionnalité posée au Conseil constitutionnel était celle de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de la loi du 21 février 2017 prévoyant la faculté de résiliation annuelle des contrats d’assurance emprunteur et notamment le chapitre V de ladite loi qui prévoit que « Le présent article est également applicable, à compter du 1er janvier 2018, aux contrats d'assurance en cours d'exécution à cette date ».

 

1 - Analyse de la décision du Conseil constitutionnel

La Fédération Bancaire Française, appuyée par un certain nombre d'établissements financiers, reprochait à cette disposition de la loi du 21 février 2017 "une atteinte à une situation légalement acquise et aux effets pouvant en être légitimement attendus" ainsi qu'une "atteinte au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues, protégé par les articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789".

 

En d'autres termes, cette loi modifierait le contenu des contrats et porterait atteinte à l'attente légitime des assureurs de percevoir des primes futures.

 

Or, d'après le Conseil constitutionnel :

 

  • il n'existe aucune disposition applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 février qui fait "naître une attente légitime des établissements bancaires et des sociétés d'assurances proposant ces contrats quant à la pérennité des conditions de résiliation de ces derniers". Ainsi, les dispositions de la loi "n'ont pas porté atteinte à une situation légalement acquise ni remis en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus d'une telle situation",

  • "en instituant un droit de résiliation annuelle des contrats d'assurance de groupe au bénéfice des emprunteurs, le législateur a entendu renforcer la protection des consommateurs en assurant un meilleur équilibre contractuel entre l'assuré emprunteur et les établissements bancaires et leurs partenaires assureurs". En outre, en ouvrant ce droit de résiliation aux contrats en cours, le législateur a voulu que cette réforme puisse profiter au emprunteurs ayant déjà conclu ce type de contrats, dans un souci d'égalité des consommateurs. "ll a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général",

  • "les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'entraîner directement la résiliation des contrats en cours, mais seulement d'ouvrir aux emprunteurs une faculté de résiliation annuelle". De plus, en prévoyant que cette faculté ne s'appliquera aux contrats en cours qu'à compter du 1er janvier 2018, le législateur a laissé un délai pour permettre "aux assureurs de prendre en compte les effets de cette modification sur leurs contrats en cours".

Ainsi, "il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, le grief tiré de ce que le paragraphe V de l'article 10 de la loi du 21 février 2017 [faculté de résiliation de tous les contrats en cours à compter du 1er janvier 2018] méconnaît le droit au maintien des contrats légalement conclus doit être écarté. Ce paragraphe, qui ne méconnaît pas non plus les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, ni aucun droit ou liberté que la constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution".

 

 

2 - Les conséquences de la faculté de résiliation annuelle sur le droit à l'oubli

Cette loi va permettre l'application effective du "droit à l'oubli", instauré par un protocole d'accord sur le droit à l'oubli, signé le 24 mars 2015 entre les pouvoirs publics, les professionnels de la banque et de l’assurance, l’Institut national du cancer (INCa) et les associations de malades. Ce protocole s'applique aux personnes guéries d'un cancer dont le traitement est terminé, sans rechute, depuis 10 ans au moins (ou cinq ans s'il avait été diagnostiqué avant ses 18 ans).

 

Actuellement, les assurés qui avaient souscrit un contrat prenant en compte leur passé médical payent des surprimes ou sont en situation de sous-garanties. Ce droit de résiliation annuelle instauré par le législateur leur permettra de trouver un nouvel assureur et de bénéficier du droit à l'oubli de leur pathologie cancéreuse ancienne. Ainsi, ils pourront être mieux assurés et à moindre coût.

 

Bon à savoir Vous pouvez consulter la grille de référence du délai d'accès à l'assurance emprunteur en fonction des pathologies, établie par la Convention AERAS et actualisée au 30 mars 2017, sur le site Internet de la Convention.

 

 

3 - La loi va-t-elle créer un gain de pouvoir d'achat pour les emprunteurs ?

L'objectif de la loi est de permettre aux assurés de changer d'assureur emprunteur, afin, notamment, de voir leurs cotisations baisser en faisant jouer la concurrence. Cependant, pour certains professionnels, cet effet ne profitera pas à tout le monde. En effet, le système actuel est construit de telle sorte que les assurés jeunes et en bonne santé voient une part de leur cotisation assumer le risque des assurés moins jeunes et en moins bonne santé, afin que le niveau de cotisation de la population assurée reste abordable pour tous. C'est ce que l'on appelle la mutualisation du risque.

 

Pour les contradicteurs de la loi, la faculté de subsitution de son assurance emprunteur va créer une plus grande sélection des assurés entraînant une difficulté pour certains emprunteurs de s'assurer. Ainsi, selon Charles Berkovits, Directeur commercial de CBP (société de courtage) lors d'une table ronde organisée dans le cadre d'un colloque "Le changement d'assureur en assurance emprunteurs" organisé par l'Université Jean Moulin Lyon 3, sous la direction du Professeur Luc Mayaux, la promesse d'un gain de pouvoir d'achat pourrait ne concerner que les emprunteurs de moins de 45 ans, non fumeurs et en bonne santé.

 

 

4 - Les conséquences de la loi sur le marché de la banque et de l'assurance

Toujours lors de la table ronde précédemment évoquée, Monsieur Jérôme Speroni, juriste auprès de l'AGEA (Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance), indiquait que la décision du Conseil constitutionnel donnait un nouveau départ aux petits agents et courtiers qui voient s'ouvrir un nouveau marché pour eux. En effet, ces derniers n'avaient pas beaucoup de poids sur un marché détenu majoritairement par les géants que sont les bancassurances.

 

Cependant, il convient de relever que la succession des lois encadrant la résiliation des contrats d'assurance emprunteurs a eu pour effet de restreindre le marché plutôt que de le libéraliser. En effet, les assureurs peuvent ou non accepter la substitution. Dans les faits, ils acceptent de moins en moins. C'est pourquoi il faudrait imposer que le refus de substitution par l'assureur "initial" soit suffisamment motivé.

 

Enfin, les agences de notation Moody's et S&P Global Ratings prévoient une perte de rentabilité chez les banques. Selon Moody's "cette concurrence accrue aura un effet négatif sur la rentabilité des banques françaises et de leurs filiales d'assurance qui détiennent environ 85% des encours actuels en assurance emprunteur " (LeFigaro.fr avec AFP - 16/01/2018 - "Assurance emprunteur : Moody's et SP prévoient une perte de rentabilité chez les banques").

 

En conclusion, bien que la décision du Conseil constitutionnel soit une victoire pour les consommateurs en leur offrant une liberté de résiliation et une libéralisation d'un marché jusque là restreint, il conviendra de suivre, dans le temps, les effets de la loi sur les pratiques en matière d'assurance emprunteur.

 

 

Fanny JOFFROIS

Juriste à l'Institut national de la consommation

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