La faculté de résiliation annuelle et le contrat d’assurance emprunteur

Une réponse, fort de principe, de la Cour de cassation


"Une décision aberrante" tel est le commentaire récent porté par une revue professionnelle du secteur de l’assurance sur  l’important arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 9 mars 2016.


Dans cette affaire, les hauts magistrats civilistes se sont penchés sur l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 23 mars 2015 qui avait, pour la première fois, admis la possibilité de résilier un contrat d’assurance emprunteur de groupe à l’échéance annuelle.

 

Au nom d’un principe civiliste fort connu, "la loi spéciale déroge à la loi générale", une cassation pour violation de la loi vient d’être prononcée.

 

Dès lors, pour les contrats d’assurance emprunteur de groupe conclus antérieurement au 26 juillet 2014, date d’entrée en vigueur de l’article L. 312-9, issu de la loi Hamon, qui cantonne, rappelons-le, la possibilité de  résilier son contrat d’assurance emprunteur de groupe ou individuel  à  un délai de douze mois à compter de la signature de l’offre de crédit, aucune résiliation annuelle n’est possible.

 

Nous vous proposons, un rapide commentaire sur cette décision qui n’a pas fini de faire parler dans le landernau de l’assurance.

 

L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 23 mars 2015, suivi de deux arrêts de la Cour d’appel de Douai (17 septembre 2015 et  21 janvier 2016) et d’un jugement du TGI de Valences (9 février 2016) statuant dans le même sens , avait cru  pouvoir  posé le principe selon lequel un contrat d’assurance groupe emprunteur, conclu avant le 26 juillet 2014, pouvait bénéficier de la faculté de résiliation annuelle édictée à l’article L. 113-12 du code des assurances.

 

En effet, ce texte d’ordre public, au regard de la teneur de  l’article L. 113-2 du code des assurances,  venait  compléter le silence du texte du code de la consommation sur la question de la résiliation du contrat d’assurance emprunteur groupe, l’article L. 312-9 de ce code , dans sa version issue de la loi n° 2010-737 du 1 er juillet 2010, ne contenant  aucune information sur la résiliation du contrat.

 

A ce propos, la motivation des juges d’appel douaisiens semblait  particulièrement intéressante :

 

"Les contrats d'assurance emprunteur" qui garantissent, outre le risque décès, divers autres risques tels l'incapacité temporaire de travail ou l'invalidité ont un caractère mixte et ne relèvent pas du régime des assurances sur la vie et l'adhésion à un contrat d'assurance de groupe, bien que la conséquence d'une stipulation pour autrui, n'en créée pas moins un lien contractuel direct de nature synallagmatique entre l'adhérent au contrat souscrit par le prêteur et l'assureur qui l'agrée.

 

Par ailleurs les dispositions propres à l'assurance emprunteur et à l'assurance groupe n'excluent pas la faculté de résiliation annuelle prévue par l'article L 113-12 du code des assurances.
Les dispositions de l'article L.141-4 du code des assurances applicable aux assurances de groupe n'excluent les assurances de groupe ayant pour objet la garantie d'un emprunt que de la faculté de dénonciation du contrat d'assurance par l'assuré en cas de modification apportée par l'assureur au contrat d'assurance et renvoie aux lois spéciales sur ce point mais n'a en revanche pas pour effet de soustraire les contrats d'assurance de groupe emprunteurs du droit de résiliation annuelle de l'article L. 113-12 du code des assurances.

 

Par ailleurs dans sa version applicable lors de la signature du premier contrat de prêt l'article L 312-9 du code de la consommation prévoyait l'inopposabilité à l'emprunteur de toute modification apportée par le prêteur ultérieurement à l'adhésion à la définition des risques garantis ou aux modalités de mise en jeu de l'assurance, dispositions dont ne peut être déduite l'impossibilité pour l'assuré de résilier le contrat, et dans sa version issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 ce texte, qui prévoit que lors de la signature du contrat le prêteur ne peut refuser un autre contrat d'assurance que celui qu'il propose ne contient pas davantage de disposition qui contredirait l'article L 113-12 du code des assurances.

 

Enfin, les dispositions du cinquième alinéa de l'article L 312-9 issues de la loi du 17 mars 2014 qui encadrent la faculté de résiliation du contrat d'assurance et la faculté pour l'adhérent emprunteur de substituer un nouveau contrat d'assurance au contrat auquel il a adhéré lors de la signature de l'offre de prêt ne signifient pas que cette faculté de résiliation n'existait pas antérieurement à sa publication.

 

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la faculté de résiliation annuelle du contrat prévue à l'article L113-12 du code des assurances est applicable au contrat signé par Mme X et M. Y  le 4 juillet 2006".(extrait de l’arrêt du 21 janvier 2016).

Avant que la cour d’appel de Douai ne se prononce, un pourvoi avait été  déposé à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux. La question principale posée à la haute- juridiction était la suivante :

 

"Un contrat d’assurance emprunteur groupe conclu avant le 26 juillet 2014 peut-il être résilié à chaque échéance annuelle en application de l’article L. 113-12 du code des assurances ?".

 

Dans son arrêt du 9 mars 2016, la Première Chambre civile répond par la négative et fait  primer  l’article L. 312-9 du code de la consommation sur l’article L. 113-12 du code des assurances en se prévalant de l’adage selon lequel "la loi spéciale déroge à  la loi générale".

 

Une interrogation fondamentale est émise par certains acteurs :

Comment peut-on voir écarter l’article L. 113-12 du code des assurances au titre du texte spécial de l’article L. 312-9 du code de la consommation dans la mesure où ce texte ne prévoit aucun dispositif en matière de résiliation ?  N’est-ce pas là une lecture très large du texte du code de la consommation ?

 

En optant pour la solution, les magistrats de la Première chambre civile ont-ils voulu écarter, par avance,  tout risque d’inconstitutionnalité du nouvel  l’article L. 113-12-2 qu’on aurait pu soumettre à leur examen dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité ?

 

En effet, comme nous l’indiquions dans le cadre du commentaire de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, la loi Hamon a, en introduisant,  dans le code des assurance l’article L. 113-12- 2, voulu limiter, pour les contrats souscrits à compter du 26 juillet 2014, la possibilité de résilier le contrat afin de le substituer à un contrat de garantie équivalente , à  un  délai d’un an à compter de la souscription de l’offre de prêt.

 

Par suite  un assuré ayant souscrit un contrat  après la mise en vigueur de cette loi ,  aurait pu, en cas de consécration de la résiliation à échéance annuelle pour les contrats conclus avant le 26 juillet 2014, tenté de se prévaloir d’une éventuelle rupture d’égalité en sollicitant la saisine du Conseil constitutionnel . 

 

Le texte de l’article L. 113-12 alinéa 2, en permettant chaque année au consommateur de pouvoir faire jouer la concurrence n’est-il pas plus protecteur que l’article L. 113-12-2 du même code qui, rappelons-le, a été adopté dans une loi visant pourtant  à une protection optimale des intérêts du consommateur ?    

 

Les magistrats toulousains, vers qui l’affaire est renvoyée, vont-ils résister à la position de la Première Chambre civile ? Peut-être la question sera –t-elle soumise à l’Assemblée plénière...

Affaire à suivre …..

Charles Le Corroller

Juriste à l'Institut national de la consommation

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