Garantie légale des vices cachés, quels délais ?

Les arrêts de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 21 juillet 2023


Dans quatre arrêts rendus le 23 juillet 2023, la chambre mixte de la Cour de cassation a clarifié les règles d’application de la garantie des vices cachés, en fixant les délais dans lesquels elle doit être mise en œuvre.

 

Le consommateur dispose de deux actions légales contre le vendeur lorsque le bien acheté présente un défaut ou ne fonctionne pas

 

  • La garantie légale de conformité, régie par les articles L. 217-3 et suivants du code de la consommation. Elle ne peut être invoquée qu’à l’encontre d’un vendeur professionnel.
  • La garantie légale des vices cachés, régie par les articles 1640 et suivants du code civil. Elle peut être intentée contre un vendeur professionnel ou un vendeur particulier.

Dans quels délais doivent être intentées les garanties légales ?

 

  • La garantie légale de conformité doit être invoquée dans les deux ans qui suivent la livraison du bien (article L. 217-3 du code de la consommation). L’acheteur peut invoquer la garantie légale de conformité uniquement contre son propre vendeur (vendeur professionnel).
  • Face à la découverte d’un vice caché, le consommateur doit intenter l’action en garantie des vices cachés dans les deux ans qui suivent cette découverte (article 1648 du code civil).

Le consommateur peut invoquer la garantie légale des vices cachés contre son propre vendeur mais aussi contre n’importe quel vendeur de la chaine contractuelle. Ainsi, il peut se retourner contre l’un des vendeurs de la chaîne de contrat plusieurs années après la vente.

 

 

1 - Le délai biennal de l’article 1648 du code civil est-il suspendu en cas d’expertise judiciaire après la découverte du vice ?

 

La question se pose lorsqu’une expertise a lieu après la découverte du vice.

Tout dépend de la qualification juridique de ce délai : délai de prescription ou délai de forclusion ?

 

- Si l’on considère qu’il s’agit d’un délai de prescription, le délai peut être interrompu et suspendu. En effet, la prescription étant l’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire, ce délai peut être interrompu et suspendu.

Ainsi une demande en justice (par exemple l’action en référé expertise) interrompt le délai de prescription (article 2241 al. 1 du code civil). Le délai de l’article 1648 du code civil est ainsi interrompu par l’assignation en référé aux fins de désignation d’un expert.

 

Une fois la mesure d’instruction ordonnée par le juge, le délai biennal ne peut être suspendu le temps que dure la mesure d’instruction que s’il s’analyse en un délai de prescription. En effet, l’article 2239 du code civil dispose expressément que "la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès (…)". Le délai recommence à courir à compter de la remise du rapport d’expertise (article 2239, al.1 du code civil).

 

- Si l’on considère qu’il s’agit d’un délai de forclusion, ce délai peut être interrompu (article 2241 al. 1 du code civil) mais ne peut pas être suspendu. En effet, la forclusion est un délai prévu pour une action particulière. Une fois que ce délai est écoulé, l’action qu’il concerne s’éteint.

 

Après des années d’incertitudes, la Cour de cassation a définitivement tranché : le délai de deux ans pour intenter une action en garantie des vices cachés est un délai de prescription qui peut être  suspendu par une expertise judiciaire par exemple. Le délai recommence à courir le jour de la remise du rapport d’expertise (Cass. ch. mixte, 21 juillet 2023, pourvoi n° 21-15809).

 

2 - Pendant combien d’années la garantie légale des vices cachés peut-elle être invoquée ?

 

Le délai pour déclarer un vice caché est déterminé par la date de découverte du vice. Mais le vice peut se révéler plusieurs années après la vente.

L’acheteur peut-il invoquer un vice caché quelle que soit la durée écoulée depuis son achat ?

 

La question se pose lorsque le produit a été vendu plusieurs fois et que l’acheteur exerce une action contre le vendeur initial du produit, ou que le vendeur intermédiaire exerce une action récursoire contre le fabricant, alors qu’il s’est écoulé plusieurs années.

 

Le code civil n’a pas prévu de délai butoir pour exercer la garantie des vices cachés. Aussi, selon les fondements retenus par les juges et la nature de la vente (vente commerciale ou civile), les réponses étaient différentes (5 ans ou 20 ans), voire 10 ans ou 30 ans sous l’empire des anciens textes avant la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008.

 

- La 1ère chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation retenaient que l’action en garantie des vices cachés devait être exercée dans un double délai :

2 ans à compter de la découverte du vice

et

5 ans à compter de la vente (article L. 110-4 du code du commerce) - (Cass. civ. 1, 8 avril 2021, pourvoi n°20-13 493, Cass. com., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-21 477)

 

- La 3ème chambre civile de la Cour de cassation estimant, quant à elle, que l’action devait être intentée dans le double délai suivant :

2 ans à compter découverte du vice (ou de l’assignation en cas d’action récursoire)

et

20 ans suivant le jour de la vente (article 2232 du code civil) - (Cass. civ. 3, 25 mai 2022, pourvoi n°21-18 218).

 

La chambre mixte de la Cour de cassation a statué pour un délai butoir unique, avec une précision sur le point de départ de ce délai, mettant un terme à des années d’incertitude.

 

L’action en garantie des vices cachés doit être intentée dans les 20 ans qui suivent la vente mise en cause. C’est un délai butoir, cela signifie qu’il n’est plus possible d’agir au-delà de ce délai.

 

Ce délai butoir de 20 ans s’applique :

 

  • quelle que soit l’action : recours contre le vendeur principal ou action récursoire contre l’un des vendeurs de la chaîne de contrat,
  • quelle que soit la nature du bien affecté d’un vice caché (mobilière ou immobilière).

> Pour en savoir plus, consulter l'article "Communiqué : Vices cachés - dans quel délai l’action en garantie peut-elle être engagée ?"

 

3 - Deux principes énoncés dans quatre décisions de la Chambre mixte de la Cour de cassation

 

La société Greci, productrice de produits alimentaires de longue conservation pour les professionnels, se fournit en poches de conditionnement auprès de la société Rapak.

Des clients de la société Greci constatent un gonflement anormal des poches entrainant la détérioration de leurs produits.

La société Greci déclare le sinistre à son assureur.

La juridiction italienne est saisie le 16 mai 2013. L’expert désigné le 24 septembre 2013 rend son rapport le 19 décembre 2013.

 

Le 25 novembre 2015, la société Gaifin (cessionnaire de la société Greci) assigne la société DS Smith (venant aux droits de la société Rapak) et l’assureur en réparation de son préjudice.

 

Les défendeurs allèguent que l’action en garantie ne peut pas être invoquée à leur encontre car plus de deux ans se sont écoulés depuis la découverte du vice, énonçant que ledit délai est un délai de forclusion, non susceptible de suspension.

 

Les juges constatent que le législateur n’a pas qualifié le délai imparti à l’acheteur pour agir en garantie des vices cachés et qu’il convient d’adopter une solution unique pour la sécurité juridique.

Ainsi les juges énoncent que le délai de deux ans pour intenter une action en garantie des vices cachés à compter de la découverte du vice est un délai de prescription qui peut être interrompu par une assignation en référé et que ce délai peut être suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction. Le délai recommence à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée.

 

Ici le défaut a été découvert en 2013, mais le délai de deux ans a été interrompu par l’assignation devant la juridiction italienne puis suspendu jusqu’au jour de la remise du rapport le 19 décembre 2013.

L’assignation au fond a été signifiée le 25 novembre 2015 soit moins de deux ans à compter de la remise du rapport d’expertise le 19 décembre 2013.

L’action en garantie des vices cachés intentée contre le constructeur est recevable.

 

Un consommateur achète une voiture d’occasion le 7 mars 2008 auprès d’une société de location. Ce véhicule avait été mis en circulation par NISSAN le 30 mars 2007. En 2013, le consommateur se plaint de vices cachés et assigne le fabricant pour obtenir un rapport d’expertise.

 

A la suite de la remise du rapport d’expertise le 28 mai 2015, le consommateur assigne le fabricant en restitution du prix et en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de la garantie des vices cachés. Celui-ci rejette la demande du consommateur en invoquant la prescription de l’action. Selon le fabricant, la prescription de 5 ans édictée par l’article L. 110-4 du code de commerce a pour point de départ la vente initiale et non la découverte du vice.

 

Les juges de la chambre mixte de la Cour de cassation estiment que l’action est recevable.

Les juges s’appuient sur l’article 2232 al. 1 du code civil selon lequel "Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit".

La naissance du droit est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie contre laquelle l’action en garantie est intentée.

Les juges précisent que ce délai constitue un délai butoir des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées.

 

Le 27 octobre 2010, un couple de consommateurs achète un véhicule à un vendeur de véhicules d’occasion qui l’avait lui-même acheté le 23 mars 2007 à la société Hyundai Motor France (le fabricant).

Le 23 décembre 2014, les acquéreurs constatent des dysfonctionnements et assignent en référé leur assureur et le vendeur pour obtenir la désignation d’un expert.

 

Le 29 juin 2015, le vendeur assigne le fabricant pour que les opérations d’expertise lui soient opposables.

 

Le 19 avril et le 3 mai 2016, les acquéreurs assignent l’assureur, le vendeur et le fabricant en indemnisation sur le fondement de la garantie légale des vices cachés.

 

Le vendeur est condamné à indemniser les acquéreurs. Il exerce alors une action récursoire contre le fabricant. Celui-ci oppose la prescription des actions à son encontre, en s’appuyant sur l’article L.110-4 du code de commerce. La vente ayant été conclue le 23 mars 2007, l’action en garantie des vices cachés est, selon lui, prescrite depuis le 23 mars 2012.

 

Les juges de la Cour de cassation rappellent que l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que :

 

- par l'article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation,

- sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit,

le jour de la naissance du droit, est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

 

Le 17 mars 2003, la société VD fait réaliser par une entreprise spécialisée (le constructeur) des travaux de charpente, couverture et bardage d’un bâtiment agricole.

Cette entreprise se fournit en plaques de couverture en fibrociment auprès d’une société (le fournisseur) et qui se fournit elle-même auprès d’une entreprise italienne (le fabricant). Les plaques sont livrées le 31 décembre 2003.

Le 29 juillet 2013, la société V ayant constaté des infiltrations assigne le constructeur pour obtenir la désignation d’un expert.

 

L’expertise a été étendue au fournisseur puis au fabricant.

 

Le 17 septembre 2013, le constructeur assigne le fournisseur. Le 8 janvier 2014, le fournisseur assigne le fabricant.

 

Le rapport d’expertise est rendu le 28 mai 2015.

 

Les 22, 24 et 29 juillet 2015, la société VD (le client) assigne le constructeur, le fournisseur et le fabricant en indemnisation de ses préjudices.

Le constructeur a appelé en garantie le fournisseur et le fabricant sur le fondement de la garantie des vices cachés, mais sa demande est rejetée par les tribunaux au motif que son action est prescrite.

 

Les juges de la Cour de cassation acceptent sa demande et rappellent que l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l'article 2232 du code civil :

 

- cette action doit être formée dans le bref délai, devenu un délai de deux ans, à compter de la découverte du vice, ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation,

- sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit,

- le jour de la naissance du droit est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

Par ailleurs, les juges rappellent que ce délai-butoir est applicable aux ventes conclues avant l'entrée en vigueur de la loi qui l’instaure (loi du 17 juin 2008, article 26-I), si le délai de prescription décennal antérieur n'était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie.

 

Que faut-il retenir ?

L’action en garantie des vices cachés doit être intentée dans un délai de deux à compter de la découverte du vice ou de l’assignation (en cas d’action récursoire) (article 1648 du code civil).

 

Par ailleurs, l’action en garantie des vices cachés ne peut pas être exercée au-delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit. Le délai de 20 ans est un délai butoir (article 2232 al. 1 du code civil).

 

Le jour de la naissance du droit est le jour de la vente conclue par la personne contre laquelle l’action en garantie est intentée.

 

 

 

Françoise HEBERT-WIMART,
juriste à l’Institut national de la consommation

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