Que se passe-t-il sur le marché du beurre ?
Une hausse alarmante du prix du beurre, des rayons des supermarchés parfois peu garnis... Autant de constats qui interpellent et nécessitent un décryptage.
1 - Une hausse de la demande mondiale de beurre
2 - Une baisse de la production laitière
3 - L’inflation du prix du beurre
4 - La rigidité du système de la grande distribution
5 - Doit-on s’attendre à une pénurie ?
6 - De cette situation, quelles conséquences pour les consommateurs ?
1 - Une hausse de la demande mondiale de beurre
Longtemps décrié par le corps médical comme un aliment mauvais pour la santé, le beurre a fait son grand retour. De récentes études internationales disculpent cette matière grasse animale dans le développement de maladies cardiovasculaires et prônent même ses bienfaits ! Ce changement d’habitude alimentaire se répercute au niveau mondial. Aux Etats-Unis par exemple, la chaîne McDonald’s a décidé de remplacer la margarine, matière grasse végétale, par du beurre.
En outre, avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché, la demande pour le beurre explose. La Chine et le Japon, notamment, sont très friands des viennoiseries et autres pâtisseries à la française.
2 - Une baisse de la production laitière
Face à cette demande croissante, la production laitière mondiale régresse. En France, en Europe et même jusqu’en Nouvelle-Zélande, premier exportateur mondial de produits laitiers, cette tendance se confirme. Sur le marché du beurre notamment, la production a baissé de 8 % depuis le début de l’année, souligne Emmanuelle Ducros, journaliste économique à L’Opinion, intervenue dans l’émission C dans l’air en octobre 2017. Pour quelles raisons ?
Pour produire du beurre, il faut du lait. Or, dans un litre de lait seulement 3,5 % (ce que représente la matière grasse qui est de la crème) va servir à fabriquer du beurre. Le reste donnera de la poudre de lait. Seulement le prix de cette dernière est trop bas par rapport au coût qu’il génère. Pour ne pas produire à perte, les éleveurs ont donc réduit leur volume de production. Pourquoi le prix du lait est-il si bas ?
La levée des quotas laitiers européens fin mars 2015, autorisant les éleveurs laitiers à produire autant de lait qu’ils le souhaitent, est la principale raison de cette chute du cours.
Pour soutenir le cours du lait, l’Union européenne avait retiré 350 000 tonnes de poudre de lait sur le marché. Ce stock abondant, toujours entre les mains de la Commission européenne, est un outil de pilotage. Si les cours repartent à la hausse, celle-ci pourra alors réintégrer sur le marché la poudre de lait stockée de manière à peser sur le cours et ainsi éviter un rebond du prix.
Par ailleurs, d’autres facteurs peuvent jouer en défaveur de la production laitière. L’influence saisonnière impacte la production et la composition du lait. Les conditions climatiques difficiles de l’année 2016 et du printemps 2017 expliquent une offre faible et ont abaissé la teneur en matières grasses du lait. En raison d’un lait moins gras, les industriels l’utilisent davantage pour produire de la crème et du fromage au détriment du beurre. En outre, dans un contexte où les prix du lait sont bas, se tourner vers la production de fromage offre de bien meilleurs rendements que ceux du beurre. Quand vous produisez du beurre, vous récupérez aussi du lait écrémé. Or la poudre de lait écrémé, actuellement, ça ne vaut rien…", explique Daniel Delahaye, Directeur Général de la coopérative Isigny Sainte-Mère, cité par Ouest France, en octobre 2017.
3 - L’inflation du prix du beurre
C’est la conséquence du déséquilibre entre l’offre et la demande, à la faveur d’une demande mondiale en forte croissance et d’une offre qui peine à suivre, entraînant par conséquent une hausse du prix du beurre. Depuis le début de l’année 2017, le prix du beurre industriel s’est envolé de 4 400 euros la tonne à 6 900 euros la tonne à la mi-octobre (source : FranceAgriMer).
Par ailleurs, les professionnels de la finance par le biais de la spéculation ont probablement contribué à faire monter le cours du beurre.
Cependant cette hausse du prix du beurre ne se répercute pas, ou très peu, sur le prix du lait. Pour cause, "moins de 10 % du lait en France sert à faire du beurre. Ils (les producteurs de lait) en profitent donc un petit peu sur cette partie-là, mais sur les 90 % restants, les prix restent extrêmement bas", rapporte Europe 1, en octobre 2017.
4 - La rigidité du système de la grande distribution
Cette flambée du prix du beurre sur le marché de gros ne s’est pas pour autant répercutée dans les supermarchés…
Depuis la loi de la modernisation de l’économie de 2008, les prix résultent d’une négociation annuelle entre fournisseurs et distributeurs. Elle s’est achevée pour 2017 en février. Les enseignes n’ont pas accepté d’ajuster leurs prix à la hausse. En conséquence une partie des industriels ne livrent plus certaines marques de beurre. En effet, en fonction du contrat de la marque, l’industriel peut ne plus livrer le distributeur sous prétexte qu’il ne relève pas le prix de la plaquette de beurre. C’est généralement le cas des marques de distributeurs (dites "MDD"), à l’inverse des "grandes marques" qui ont des contrats à durée plus longue. Dans ce second cas, l’industriel doit honorer ses livraisons et vendre au prix du contrat même si les coûts ont augmenté depuis. A titre d’exemple à la mi-octobre 2017, le prix moyen des contrats du beurre est à 6 614 euros la tonne, alors que le prix à la facturation est de 5 760 euros la tonne, soit un écart de 13 % (source : FranceAgriMer 2017 - n°41).
Face à cette rigidité de la grande distribution, l’industriel français a tout intérêt à commercialiser son beurre sur le marché international, puisque le prix est indexé sur la cotation mondiale. Le marché intérieur étant moins rémunérateur que le marché mondial, les exportations françaises de beurre ont augmenté de 3,5 % entre août 2016 et août 2017 (source : FranceAgriMer 2017 - n°41).
5 - Doit-on s’attendre à une pénurie ?
Les tensions sur le marché du beurre vont probablement s’éterniser.
D’un point de vue offre-demande, le prix du beurre restera à des niveaux élevés compte tenu d’une demande très soutenue et d’une offre limitée. En effet, le marché du beurre, à l’inverse du marché de la poudre de lait, n’a pas de stock.
La pénurie risque d’être présente durant une longue période. Néanmoins, si les enseignes acceptent de réajuster leurs prix, la situation pourrait se résorber dans des délais que nous espérons rapides.
En outre, cette pénurie peut être accentuée par des clients qui, par peur de ne plus trouver de beurre, en achètent plus que d’ordinaire. Ces anticipations auto-réalisatrices accroissent la pénurie.
6 - De cette situation, quelles conséquences pour les consommateurs ?
La première conséquence pour les consommateurs se trouve dans les rayons des supermarchés. Face à la pénurie sur certaines marques de beurre, les distributeurs sont de ce fait moins achalandés, obligeant ainsi les consommateurs à changer, pour certains, de marque de beurre.
Autre conséquence pour les consommateurs : les prix des pâtisseries et viennoiseries vont très probablement augmenter de quelques centimes. "C’est la seule solution pour pérenniser la viabilité des entreprises qui ont fait de la qualité gustative et du "made in France" un atout de vente essentiel et sont touchées de plein fouet par cette crise" , souligne la FEB (Fédération des entreprises de boulangeries). Ces produits étant composés pour la plupart à plus de 25 % de beurre.
L’INC suivra avec attention l’évolution du dossier.
Léa Bailly,
Economiste à l’Institut national de la consommation (INC)