Reconduction tacite du contrat

Jurisprudence


Qui peut se prévaloir de l’absence d’information du professionnel pour y mettre un terme ?


La juridiction judiciaire a rendu plusieurs arrêts précisant qui pouvait invoquer l’article L. 215-1 du code de la consommation.

 

Cet article dispose que "Pour les contrats de prestations de services conclus pour une durée déterminée avec une clause de reconduction tacite, le professionnel prestataire de services informe le consommateur par écrit, par lettre nominative ou courrier électronique dédiés, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu'il a conclu avec une clause de reconduction tacite. Cette information, délivrée dans des termes clairs et compréhensibles, mentionne, dans un encadré apparent, la date limite de non-reconduction.

 

Lorsque cette information ne lui a pas été adressée conformément aux dispositions du premier alinéa, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction".

 

Le principe de l’article L. 136-1 de l’ancien code de la consommation y est repris. Le contrat enfermant la loi applicable, et la plupart des contrats ayant été conclus avant la refonte du code de la consommation entrée en vigueur le 1er juillet 2016, les actions en justice se fondent en majorité sur l’article L. 136-1 ancien plutôt que sur l’article L. 215-1 du code de la consommation. Mais ces articles énonçant les mêmes règles, il ne faut pas douter que les interprétations faites par le juge de l’article L. 136-1 sont toujours valables.

 

Cet article permet donc au consommateur qui n’a pas été informé de la reconduction tacite du contrat en temps et en heure par le professionnel d’y mettre un terme à tout moment à compter de la date de reconduction. Les non-professionnels peuvent également se prévaloir de cet article (article L. 215-3 du code de la consommation). Il faut cependant prendre en compte le fait que la définition de non-professionnel a été modifiée par la loi n°2017-203, et que l’article liminaire qui désignait alors les non-professionnels comme "toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole" et qui désigne aujourd’hui "toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles".

 

Il est constatable que, dans la majorité des cas, le contentieux se noue autour d’une situation floue, à savoir si la personne qui se prévaut de l’article L. 215-1 du code de la consommation est un consommateur ou un non-professionnel. Généralement, la qualité des parties entrainant un doute, le fournisseur tend à ne pas respecter l’obligation d’information de l’article, ne se croyant pas soumis à ce dernier. Pour se dégager de ses obligations contractuelles au plus vite, le client essaye donc de se prévaloir de cet article et de l’absence d’informations du prestataire. L’article est alors utilisé comme une parade, alors qu’il n’a pas forcément été envisagé lors de la conclusion du contrat que la reconduction tacite lui serait soumise.

 

 

1 - LES PERSONNES QUI PEUVENT S’EN PREVALOIR

1.1 - Le syndicat de copropriétaires

1.2 - Le comité d’entreprise (aujourd’hui comité social et économique)

 

2 - LES PERSONNES QUI NE PEUVENT PAS S’EN PREVALOIR

2.1 - Les sociétés commerciales

2.2 - Les associations ayant des activités commerciales

2.3 - Les sociétés civiles immobilières

2.4 - Les artisans

 

 

1 - Les personnes qui peuvent s’en prévaloir

1.1 - Le syndicat de copropriétaires

 

 

Les faits : Le 10 décembre 2008, un syndicat de copropriétaires d’un immeuble a conclu avec une société de nettoyage un contrat d’entretien à reconduction tacite annuelle. Le syndicat en se fondant sur l’article L. 136-1 ancien du code de la consommation (L. 215-1 nouveau), et invoquant l’absence d’information du professionnel a résilié le contrat. La société d’entretien a assigné le syndicat de copropriétaire en paiement de dommages-intérêts.

 

La décision du juge : La Cour de cassation a relevé que l’article L. 136-1 s’appliquant aussi bien aux consommateurs personnes physiques qu’aux personnes morales non-professionnelles. Or la Cour a cassé la décision de la cour d’appel en ce qu’elle avait omis que cet article s’appliquait aux non-professionnels.

 

 

Les faits : Un prestataire a conclu avec un syndicat de copropriétaires, représenté par un syndic professionnel de parking, un contrat d’exploitation d’un parc de stationnement le 28 décembre 2007. Ce contrat était à reconduction tacite chaque année avec résiliation possible six mois avant le terme annuel. Un avenant en date du 9 juin 2008 est venu inclure le syndic comme partie prenante au contrat venant régler un quart de la prestation. Un nouveau syndic a résilié le contrat le 1er août 2011 sur le fondement de l’article L. 136-2 (ancien) du code de la consommation. Le prestataire a assigné le syndicat de copropriétaires en nullité de cette résiliation et en condamnation du paiement de la redevance.

 

La décision du juge : La Cour a estimé dans cette affaire que, lors de la conclusion du contrat, le syndicat de copropriétaires était un non-professionnel. L’entrée en 2008 dans les relations contractuelles d’un syndic professionnel n’a pas changé la nature non professionnelle du syndicat. Par conséquent, ce dernier pouvait toujours se prévaloir l’article L. 136-1 (ancien) du code de la consommation.

 

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que le critère nécessaire pour se prévaloir de l’article L. 136-1 (ancien) du code de la consommation est bien la qualité de chaque partie au contrat et surtout celle des non-professionnels plus que les qualités de toutes les parties au contrat. Chaque non-professionnel ayant conclu avec un professionnel un contrat de service avec reconduction tacite peut bénéficier de cet article, même si au sein des relations contractuelles, tous les cocontractants du prestataire ne sont pas des non-professionnels.

 

Par ces décisions, la Cour de cassation confirme une jurisprudence de longue date relative au caractère non professionnel des syndicats de copropriétaires, et ce, même lorsqu’ils sont représentés par un syndic de copropriété professionnel (par exemple : Cass. 1re civ., 25 novembre 2015, n° 14-20.760).

 

 

1.2 - Le comité d’entreprise (aujourd’hui comité social et économique)

 

Les faits : Le comité d’entreprise d’un hôtel a conclu le 23 décembre 2010 un contrat d’entreprise donnant accès au comité à une offre culturelle en ligne. Le comité s’est prévalu de l’absence d’information de la part du professionnel, comme l’exige l’article L. 136-1 (ancien) du code de la consommation et a résilié le contrat en 2012. La société a continué à fournir ses services et a assigné le comité en paiement des sommes pour les prestations accordées entre 2012 et 2014.

 

La décision du juge : L’article L. 2323-83 du code du travail ancien accorde au CE la gestion des activités sociales ou culturelles au bénéfice des salariés et de leur famille ainsi que des stagiaires. Lorsqu’il exerce cette mission légale, il n’agit pas, selon la Cour, à des fins professionnelles de sorte qu’il bénéficie des dispositions relatives aux non-professionnels, et donc des dispositions de l’article L. 136-1 ancien du code de la consommation.

 

Aujourd’hui, ce même raisonnement et cette même solution pourraient s’appliquer au comité social et économique (CSE) qui reprend la gestion des activités sociales et culturelles, depuis la loi dite "loi Pénicaud" de 2017. En revanche, la chambre commerciale de la Cour de cassation ne partage pas la position de la chambre civile, considérant que dans le cadre de la gestion des activités sociales et culturelles, le CE conclut des actes en tant que professionnel et ne peut bénéficier des avantages de cet article (Chambre commerciale, 16 février 2016, n° 14-25.146).

 

 

2 - Les personnes qui ne peuvent pas s’en prévaloir

 

2.1 - Les sociétés commerciales

 

  • Cour d’appel de Versailles, 25 juin 2019, n° 18/03341

Les faits : Une société cliente a conclu un contrat le 2 décembre 2010 avec une société mettant à disposition des distributeurs automatiques de boissons et d’en-cas pour une durée de 36 mois renouvelable tacitement pour la même durée sauf dénonciation du contrat 6 mois avant. Une réunion a eu lieu le 27 septembre 2010 entre les sociétés pour évoquer des points litigieux. Le 6 janvier 2017, la cliente a résilié le contrat pour les distributeurs de boissons chaudes avec effet immédiat et propose de conserver les autres distributeurs dans le cadre d’un nouveau contrat. Les sociétés ont connu des désaccords quant à la date de résiliation et la date effective de fin du contrat, et la cliente a affirmé qu’elle pouvait bénéficier des dispositions de l’article L. 136-1 ancien (L. 215-1 nouveau) du code de la consommation puisqu’elle n’agissait pas dans le cadre de son activité commerciale, étant donné que les machines étaient destinées au personnel de l’entreprise. Par conséquent, n’ayant pas été informée en bonne et due forme de la date de reconduction tacite, elle pouvait résilier le contrat à tout moment.  

 

La décision du juge : Le fait pour une entreprise d’installer dans ses locaux des distributeurs automatiques de boissons et denrées alimentaires à l’usage du personnel ou de ses clients entre dans le champ de l’activité commerciale et industrielle d’une société commerciale, même s’il s’agit d’une activité accessoire à son activité principale (en l’espèce, de conception et de réalisation de projets industriels complexes dans le domaine du pétrole et du gaz).

De façon générale, la jurisprudence tend à exclure quasi systématiquement du champ d’application de l’article L. 215-1 du code de la consommation les contrats conclus entre deux sociétés commerciales (voir par exemple : Cour d'appel de Paris, 22 février 2019, n° 17/15849).

 

 

2.2 - Les associations ayant des activités commerciales

 

  • Cour d'appel de Nancy, 6 mai 2019, n° 18/00608

Les faits : Une association ayant pour activité principale l’enseignement secondaire technique et professionnel a conclu un contrat avec une société pour la création et la diffusion de messages publicitaires sur les écrans d’un centre commercial pour une durée de 36 mois. Ce contrat était à reconduction tacite pour une même durée avec une augmentation du tarif du service. Le 7 mars 2017, la société a indiqué à l’association que, le contrat n’ayant pas été dénoncé, la reconduction était effective. Le 21 mai de la même année, l’avocat de l’association a informé la société que la première comptait mettre fin au contrat. L’association invoque alors l’article L. 136-1 ancien du code de la consommation.

 

La décision du juge : L’association, bien qu’étant à but non lucratif, avait conclu ce contrat dans un objectif de promotion de ses activités commerciales. Par conséquent, la reconduction du contrat n’était pas soumise à l’information prévue à l’article L. 136-1 du code de la consommation.

 

 

2.3 - Les sociétés civiles immobilières

 

  • Cour d'appel de Rennes, 4 avril 2019, n° 16/03207

Les faits : Des sociétés civiles immobilières (SCI) ont confié la gestion de leurs biens destinés à la location à une autre société. L’objet social des SCI était l’acquisition, la gestion, la réparation, l’entretien, l’administration, la transformation, la prise à bail, la location de tous biens immobiliers bâtis ou non bâtis. Dans ce cadre, des mandats ont été conclus pour une durée d’un an avec reconduction tacite. Tous les ans, la société gérante a envoyé aux SCI des relevés de gérance en faisant mention de la loi Chatel de 2005 qui a instauré le régime de l’article L. 136-1 du code de la consommation. Les mandats ont été résolus par le gérant des SCI qui a sollicité par la même occasion le versement des sommes dues.

 

La décision du juge : La question était de savoir si le gérant pouvait se prévaloir de l’article L. 136-1 ancien du code de la consommation. La Cour a tout d’abord constaté que les contrats n’ont pas été conclus avec le gérant, mais bien avec les SCI elles-mêmes. La qualité de professionnel des SCI ne s’apprécie pas en fonction de la qualité de leur gérant, mais bien de leur objet social. Au vu de cet objet, la cour affirme que les SCI sont des professionnels de l’immobilier, qui ne devraient donc pas pouvoir se prévaloir de cet article. Or, la Cour a souligné le fait que la société gérante, par les relevés de gérance et la mention de la loi de 2005, avait entendu se placer volontairement sur le régime de l’article L. 136-1 qui peut donc s’appliquer en l’espèce.

Il est ici notable que les deux parties soient des professionnels et l’article ne devrait donc pas s’appliquer. Pourtant le juge vient relever qu’en l’espèce la soumission volontaire à cet article est non seulement possible, mais qu’elle peut se faire hors du contrat et que le consentement peut résulter d’actes d’exécution du contrat. Par ces actes de compte-rendu, la société gérante a donc accordé un droit aux SCI. Les SCI ont consenti à obtenir ce droit lorsqu’elles l’ont utilisé, soit lors de la résiliation.

 

 

2.4 - Les artisans

 

  • Cour d'appel de Dijon, 28 septembre 2017, n° 14/02012

Les faits : Un artisan spécialisé dans la construction de cheminées a conclu un contrat avec une société prestataire pour la maintenance et l’hébergement de son site internet. Il a également, le même jour régularisé un contrat de crédit auprès d’une autre société. Le contrat a été tacitement reconduit. Or, à partir de cette date, l’artisan a cessé de payer ses mensualités. A la suite de ce qui pourrait être qualifié d’une correspondance « de sourds » entre les deux parties, le prestataire a assigné l’artisan en paiement des mensualités échues. L’artisan a voulu se prévaloir de l’article L. 136-1 (ancien) du code de la consommation.

 

La décision du juge : La Cour a estimé que, bien que son activité consistait en la pose de cheminées, ce contrat lui permettait d’en faire la promotion. Il était donc en lien direct avec son activité. Par conséquent, l’artisan a, en l’espèce, agi en qualité de professionnel et ne peut se prévaloir de cette disposition du code de la consommation.

 

 

William URVOY

Juriste-stagiaire à l’Institut national de la consommation

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