Plus d'un siècle d'engagement au service des consommateurs


Des "ligues sociales d'acheteurs" de la Belle Epoque aux nouveaux enjeux de la consommation responsable et à l'ère d'Internet, le mouvement consumériste s'est implanté profondément dans le paysage politique et social français. Récit d'une aventure.
 
1 - Les premières structures
2 - Indépendance et campagnes d'opinion : l'âge d'or du mouvement consumériste
3 - Des associations mieux coordonnées pour agir au niveau européen
4 - De la mondialisation du commerce au "consommateur responsable"
5 - Le pouvoir du consommateur se renforce
6 - Du rapport Brault au rapport du Conseil d'analyse économique
7 - Les repères consuméristes depuis 1905

 

 

1 - Les premières structures

C'est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle qu'apparaissent dans les grandes villes des "ligues sociales d'acheteurs". En 1909, est créée la Ligue des consommateurs dont le journal Le Consommateur affiche à la une sa devise (ironique) : "Je dépense donc je suis."
 
En 1927, la Confédération générale de la consommation est créée. Elle exprime le rêve d'un consumérisme de masse et unifié. Sa première réunion se tiendra en 1929, mais...… elle sera la dernière.
 
Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que le mouvement des consommateurs reprenne de la vigueur. Il bénéficie de la conjonction de deux phénomènes : le développement des associations familiales, qui se penchent notamment, sur les problèmes de consommation, et la reconnaissance sur le plan économique – reconstruction oblige – du rôle du consommateur par les pouvoirs publics. Le ministère de l’Economie nationale institue en effet un Bureau de la consommation, qui assure le secrétariat du Comité national de la productivité.
 
C’est au sein de ce comité que naît en 1951, avec le soutien des syndicats et des pouvoirs publics, l’Union fédérale de la consommation – devenue, en 1972, l’Union fédérale des consommateurs (UFC). L'UFC réunissait des représentants des trois catégories d’organisations (syndicales, familiales, féminines). Le Comité national de la productivité publiera également en 1960 un rapport connu sous le nom de "rapport Armand-Rueff", valorisant les consommateurs et leurs organisations et allant jusqu’à encourager l’État à leur accorder un "soutien matériel et moral" – ce qu’il fera grâce à des subventions.

 

Cette même année 1960, le Comité national de la consommation (CNC) est créé afin d’assurer une "confrontation permanente des représentants des pouvoirs publics et des représentants des intérêts collectifs des consommateurs". En 1961, paraît le premier numéro du magazine de l’Union fédérale de la consommation, Que choisir.

 

En 1966, une nouvelle étape est franchie avec la naissance de l’Institut national de la consommation (INC), "centre technique de recherche, d’information et d’étude" mis à la disposition du CNC, des groupements de consommateurs et des pouvoirs publics.

Dans la seconde moitié des années soixante, le mouvement français s’installe dans les régions avec la création des premières unions régionales d’organisations de consommateurs (Uroc), devenues par la suite les centres techniques régionaux de la consommation (CTRC).

 

Les années soixante-dix marquent l’âge d’or du mouvement consumériste, qui se bat pour faire admettre son indépendance face aux pouvoirs publics. Un second magazine consumériste apparaît : 50 Millions de consommateurs, créé par l’INC en décembre 1970.

Les enquêtes de "50" et celles de Que choisir, ainsi que l’action sur le terrain des associations, conduisent à de nombreuses campagnes contre des produits (casques moto, colorants, veau aux hormones…) ou sur des problèmes peu connus (pollution des plages…). À l’image des États-Unis, où l’avocat Ralph Nader fait voter des réformes au Congrès en s’appuyant sur les médias et l’opinion publique, le mouvement consumériste français se transforme en groupe de pression.

En 1976, les pouvoirs publics lui offrent une interlocutrice privilégiée avec la nomination d’une secrétaire d’Etat à la Consommation, Christiane Scrivener. Cette institutionnalisation avait été stimulée quelques années avant au niveau communautaire : le sommet de Paris, réunissant en 1972 les chefs d’État et de gouvernement européens, mettait l’accent sur la "qualité de la vie".

 

 

2 - Indépendance et campagnes d'opinion : l'âge d'or du mouvement consumériste

C’est également à partir des années soixante-dix que les grands textes législatifs, sur le démarchage à domicile, la publicité, le crédit, l’information, la sécurité…, ont été édictés, la protection du consommateur ayant toujours une place dans les gouvernements en France.

 

Les années quatre-vingt sont celles de la reconnaissance de la consommation comme fonction économique et, surtout, de la reconnaissance des associations de consommateurs : elles étaient jusque-là une douzaine à être agréées par les pouvoirs publics, leur nombre passe à vingt pendant cette période.

 

De même, en 1981, un véritable département ministériel est attribué à la consommation (toujours sous l’égide du ministère de l’économie). Les consommateurs sont ainsi considérés comme des partenaires économiques. Jacques Delors, ministre de l’Economie, déclare : "La politique de la consommation est inséparable d’une politique économique et sociale d’ensemble ; elle est un volet essentiel de la politique de défense du pouvoir d’achat".

 

En 1983, l’INC est régi par un nouveau décret qui ne prévoit plus de représentation des professionnels au sein de son conseil d’administration. L’influence des associations est ainsi renforcée. Quant au Comité national de la consommation, il devient cette même année le Conseil national de la consommation (CNC).

 

En 1986, avec l’ordonnance du 1er décembre relative à la liberté des prix et de la concurrence, le consommateur est reconnu comme étant un acteur de la concurrence.

 

En 1987, le mouvement des consommateurs conforte sa présence locale avec la création des comités départementaux de la consommation (CDC). Présidés par les préfets et composés paritairement de représentants des secteurs économiques et des associations de consommateurs, ils doivent permettre d’accroître le dialogue et la concertation sur les questions de consommation, de concurrence et de formation des prix.

 

En 1990, l’INC (qui était alors un établissement public administratif), devient un établissement public à caractère industriel et commercial. Cinq ans plus tard, son magazine prend le nom de 60 Millions de consommateurs.

 

De nouvelles interrogations se posent au mouvement consumériste. Les grands textes ont été votés, leur regroupement dans un code de la consommation les a rendus plus accessibles même s’il reste encore beaucoup à faire pour leur application. Les consommateurs sont mieux informés, notamment sur la qualité des produits et des services. Les associations soutiennent désormais le développement d’une information de qualité en s’impliquant dans la certification. Mais pour être plus efficaces, elles cherchent à se rassembler. En 1994, dix-sept des dix-huit organisations de consommateurs agréées créent Conso 2000 et mènent ensemble plusieurs enquêtes, notamment sur les tarifs téléphoniques et le prix de l’eau. L’expérience finit par s’étioler après deux ans de fonctionnement.

 

 

3 - Des associations mieux coordonnées pour agir au niveau européen

En septembre 1999, une nouvelle organisation est créée : ConsoFrance. Elle rassemble aujourd’hui sept associations (Adéic, ALLDC, CGL, Cnafal, CNL, Fnaut et Indécosa-CGT). Son objet ? « La défense des intérêts des citoyens consommateurs, y compris sur le plan environnemental et social » et la coordination des actions. En 2000, huit autres associations (CLCV, CNAFC, CSF, Familles de France, Familles Rurales, Orgéco, UFCS - qui a rejoint Familles Rurales en janvier 2009 - et Unaf) se regroupent elles aussi en créant une association appelée la Coordination, dissoute depuis.

 

Pendant cette décennie, le droit européen prend de plus en plus de place dans le consumérisme. En 1992, le traité de Maastricht consacre son titre XI à la protection des consommateurs. La consommation est désormais une politique à part entière de l’Union européenne. Surtout, le droit français de la consommation est profondément lié aux textes européens, directives et règlements visant à harmoniser les droits nationaux. Dans ce cadre, la Commission européenne lance de nombreuses consultations auprès des consommateurs et de leurs associations, et le mouvement consommateur cherche à acquérir la capacité d’agir efficacement à cette échelle.

 

La présence des consommateurs dans les réunions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prouve la reconnaissance du rôle économique de ces derniers. La dimension mondiale des échanges est accentuée avec le développement des nouvelles technologies de l’information, dans lesquelles le mouvement consommateur a un rôle important à jouer.

 

 

4 - De la mondialisation du commerce au "consommateur responsable"

La fin des années 1990 est marquée par la crise de la "vache folle", qui fait naître de nombreuses interrogations : le consommateur commence à remettre en question son mode de consommation.

 

Les associations s’impliquent alors de plus en plus sur des sujets comme l’alimentation, la qualité des produits ou de l’environnement. La santé devient également un sujet important pour elles : le consommateur est aussi un patient et un utilisateur du système de santé. Certaines associations agréées participent ainsi à la création en 1996 du Collectif inter associatif sur la santé (Ciss), devenu association "loi 1901" en 2004.

 

Une notion voit le jour, celle du consommateur citoyen ou "consom’acteur", dont la principale problématique est : comment consommer responsable ? Agriculture biologique, commerce équitable, gaspillage alimentaire, réduction des déchets… ces questions ont toute leur place dans ce débat.

 

A côté des associations de consommateurs nationales agréées, de nouveaux mouvements comme l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) et France Nature Environnement (FNE) s’investissent sur des sujets de consommation. Dans la mouvance altermondialiste, ces réseaux remettent en cause le système libéral et la consommation de masse.

 

L’avènement de l’économie numérique transforme également les modes de consommation et le comportement d’achat des consommateurs. Les transactions commerciales se dématérialisent. Il suffit d’un clic de souris pour acheter des produits vendus au bout du monde. Les frontières s’effacent : le développement du marché unique européen facilite la circulation des biens au sein de l’Union européenne. Place au consommateur européen !

 

A l’ère d’Internet, chacun s’informe seul et bénéficie de plus de facilité et de réactivité pour se défendre. Face à un litige spécifique, les victimes s’organisent plus efficacement via des forums de discussion et peuvent créer des collectifs pour défendre leurs droits. Ces communautés, de mieux en mieux organisées, constituent des groupes de pression face aux professionnels.

 

La relance des discussions autour des actions de groupe ("class actions") depuis 2005 révèle l’importance nouvelle accordée aux actions de masse, en permettant aux consommateurs de se regrouper pour avoir plus de poids auprès des professionnels.

 

L’action de groupe consiste à fédérer devant un seul tribunal toutes les victimes de dommages pas assez importants pour que chacune intente une action en justice longue et coûteuse. Elle permet aux consommateurs d’obtenir réparation de leur préjudice individuel et participe au rétablissement du jeu normal de la concurrence en sanctionnant le professionnel responsable.

 

En parallèle, tout est mis en œuvre pour renforcer la concertation entre les consommateurs et les professionnels et développer un règlement des litiges à l’amiable. Cette tendance à la "déjudiciarisation" se traduit par un développement des systèmes de régulation et de médiation.

 

 

5 - Le pouvoir du consommateur se renforce

Désormais le consommateur est pleinement reconnu comme un acteur du marché à part entière. Ayant appris la vigilance et connaissant l’essentiel des techniques de ventes des producteurs et distributeurs, il a acquis une efficacité dans ses choix. Capable de mettre en œuvre de véritables stratégies répondant à ses différents impératifs, il pourrait se croire à l’abri des "pièges" du marketing. Toutefois, la montée en puissance des achats en ligne et d’internet a changé la donne, donnant à la fois au consommateur plus d’outils pour affiner leurs pratiques, mais permettant également à certains "vendeurs" en ligne, de brouiller les savoirs et les stratégies des acheteurs.

 

Dans le cadre des Assises de la Consommation « Comment renforcer les pouvoirs du consommateur ? » organisées en 2009 par le secrétaire d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services et de la Consommation, Hervé Novell, l’Etat a procédé à une réorganisation des structures associatives et institutionnelles. Les associations de consommateurs les plus représentatives peuvent désormais prétendre à une seconde reconnaissance, appelée "reconnaissance spécifique".

 

Celle-ci leur accorde des droits plus importants que l’agrément "classique", notamment en matière de représentation au sein du Conseil national de la consommation. Au 10 mars 2019, cinq associations en sont titulaires (Afoc, CLCV, La CSF, Familles Rurales, Indecosa-Cgt).

 

Le nouveau "consom’acteur", plus averti, mieux informé, est placé au centre des dispositifs. "Faciliter le choix des consommateurs, favoriser leur mobilité effective et accentuer les sanctions susceptibles de pénaliser les entreprises déviantes" : les leviers visant à améliorer leur protection, présentés dans le rapport de 2012 du Conseil d’analyse économique (CAE) l’illustrent.

 

Après de nombreuses discussions à l’Assemblée nationale et au Sénat, le projet de loi relatif à la consommation, dit "loi Hamon", a été adopté le 13 février 2014 et publié le 18 mars 2014. Le texte entendait rééquilibrer les pouvoirs entre les consommateurs et les professionnels. Il a institué l’action de groupe "Consommation". Autres avancées parmi les nombreuses mesures inscrites dans la loi : l’assouplissement des conditions de résiliation des contrats d’assurance, l’allongement du délai de rétractation lors d’un achat à distance ou hors établissement et le renforcement des sanctions appliquées aux entreprises pour fraudes économiques.

 

Depuis que les négociations officielles ont été lancées en juin 2013, le Traité transatlantique de commerce et d'investissement est un sujet largement commenté. Des associations de protection de consommateurs françaises et européennes sont parties prenantes dans ce débat. Elles portent de fortes revendications sur la sécurité des produits, les organismes génétiquement modifiés (OGM) et la sécurité alimentaire.

 

Un modèle de  consommation "collaborative ou "participative" semble émerger. Dans un contexte de crise économique sévère, les Français s’intéressent de plus en plus à de nouvelles façons de maximiser leurs achats, par des pratiques de covoiturage, colocation, achats d’occasion ou groupés, financement participatif de projets (crowdfunding)… Même si certains veulent y voir un changement de paradigme, une mutation très profonde de la société d’ "hyperconsommation", on peut s’interroger sur les conséquences de cette évolution : ne s’agirait-il pas plutôt d’une évolution du modèle marchand, mettant au centre des sociétés "2.0" de mise en relation entre "clients", sachant utiliser au mieux toutes les avancées des plate-formes du web, et permettant de consommer autant, voire plus, avec un budget resserré ?

 

Toutefois, ce modèle de "surconsommation" permanente semble aujourd’hui trouver ses limites, du fait d’une responsabilisation des consommateurs : le succès d’outils facilitant des choix lors des achats, telles des applications  sur smartphones ou ordinateurs permettant de repérer les produits correspondant à ses propres « valeurs », censés être moins nocifs ou meilleurs pour l’environnement, tout comme le développement de circuits de vente alernatifs, mettant le local et la petite production au cœur des démarches par exemple, ou encore la demande croissante de produits plus durables, aisément réparables montrent que les consommateurs aujourd’hui commencent sérieusement à peser directement, par leurs actes individuels, sur les fondamentaux de l’offre, et contribuent à faire évoluer celle-ci.

 

 

6 - Du rapport Brault au rapport du Conseil d'analyse économique

BRAULT, Dominique. Pour un second souffle du mouvement consommateur (extraits). INC hebdo, 14 avril 1989, n° 634, p 3-11.

Lire en ligne

 

CHATEL, Luc. De la conso méfiance à la conso confiance - Rapport de la mission parlementaire sur "l'information, la représentation et la protection du consommateur". Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, juillet 2003, 168 p.

> Lire en ligne

 

LAURENT, Dominique. Mission relative au mouvement consumériste en France. Secrétariat d'Etat à l'industrie et à la consommation, mai 2009, 38 p.

> Lire en ligne

 

GABAIX, Xavier. LANDIER, Augustin. THESMAR, David. MONGIN, Philippe. TIROLE, Jean. CONSEIL D'ANALYSE ECONOMIQUE. La protection du consommateur : rationalité limitée et régulation. La Documentation française, septembre 2012, 92 p.

> Lire en ligne

 

7 - Les repères consuméristes depuis 1905

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