Les juges doivent soulever d’office une clause susceptible d’être considérée comme abusive dans un contrat d’assurance vie

Commentaire de jurisprudence


L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 octobre 2021 (Cass. civ. 2, 14 octobre 2021, n° 19 11.758) permet de s’interroger sur l’office du juge en matière de clauses abusives présentes dans un contrat d’assurance vie.

 

  • Le contrat d’assurance vie comportait une table de mortalité dont la teneur a changé en cours de contrat

Le 7 octobre 2003, une personne adhère à un contrat d’assurance de groupe souscrit par une association pour une durée de dix ans.

 

Pour mémoire, un contrat d’assurance vie a pour objet le versement d’une prestation par l’assureur en cas de réalisation de l’évènement garanti, à savoir la mort (contrat en cas de décès) ou la vie du consommateur (contrat en cas de vie), le contrat pouvant porter sur la vie et le décès dans un contrat mixte.

 

Dans les contrats d’assurance vie, les tables de mortalité permettent de calculer le taux de conversion du capital (sommes investies par le consommateur, augmentées du gain réalisé) en rente viagère (fraction du capital périodiquement versée par l’assureur jusqu’au décès de l’assuré), en se basant sur une moyenne de mortalité.

 

Grâce à cette table, l’assureur peut donc prévoir la possibilité de réalisation de l’évènement et tarifer sa prestation.

 

A l’origine, les assureurs opéraient une distinction entre les tables de mortalité applicables aux hommes et celles applicables aux femmes, en raison du fait que les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes.

 

Toutefois, le législateur a pris acte par une loi du 17 décembre 2007 de la directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 "mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès des biens et services et la fourniture de biens et services".

 

Selon l’article L.111-7 du code des assurances issu de cette loi, "Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la prise en compte du sexe comme facteur dans le calcul des primes et des prestations ayant pour effet des différences en matière de primes et de prestations est interdite ». Or, le même article prévoyait une exception par arrêté lorsque « le sexe est un facteur déterminant dans l'évaluation du risque d'assurance".

 

Cette possibilité a été invalidée par un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 1e mars 2011 (affaire C-236/09, Association belge des Consommateurs Test-Achats ASBL e.a. c/ Conseil des Ministres).

 

Ainsi, la loi du 26 juillet 2013 a mis fin à cette rupture d’égalité mais a maintenu l’application d’une table différenciée pour les contrats conclus avant le 20 décembre 2012.

 

  • La validation de la clause litigieuse par la cour d’appel

Parmi les moyens du pourvoi, l’adhérent reprochait à son assureur d’avoir modifié la table de mortalité TGH05 applicable à son contrat en table de mortalité unisexe à partir du 1e juillet 2014, conformément à la nouvelle législation, ce qui aurait eu pour effet de baisser le montant de sa rente annuelle.

 

La cour d’appel de Paris, dans une décision en date du 20 mars 2018, a estimé que d’une part, en l’absence de précisions sur la table de mortalité applicables, la mention du calcul de la rente "selon le tarif en vigueur" rendait conforme aux dispositions contractuelles l’application d’une table différente que celle utilisée à l’origine de la relation contractuelle.

 

D’autre part, la cour d’appel relève que la reconduction du contrat permet d’appliquer les nouvelles dispositions légales au contrat, en accord avec les dispositions contractuelles acceptées par l’assureur et le souscripteur (l’association).

 

Dès lors, la cour d’appel rejette les demandes formées par le consommateur en estimant que l’assureur pouvait très bien modifier la table de mortalité applicable.

 

  • La Cour de cassation rappelle l’office du juge en matière de clauses abusives

Dans cette affaire, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.

 

Alors que l’assuré n’avait pas soulevé les clauses abusives à l’appui de son pourvoi en cassation, la Cour casse l’arrêt pour ne pas avoir recherché l’existence d’un abus dans la clause prévoyant l’application de la table de mortalité « selon le tarif en vigueur ».

 

Elle s'appuie sur l’arrêt Pannon (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08) selon lequel, "le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose".

 

Elle cite également l’article L. 212-1 du code de la consommation qui permet de considérer une clause qui relève de l’objet du contrat comme abusive, dès lors que celle-ci n’est pas claire et compréhensible.

 

La Cour casse donc la décision au motif qu'il incombait aux juges du fond de rechercher d'office si la clause était rédigée de façon claire et compréhensible, de telle sorte qu'elle permette à l'adhérent d'apprécier les conséquences économiques et financières pour lui de l'application de cette table.

 

Elle ajoute qu'en cas de défaut de clarté, les juges devaient rechercher si la clause n'avait pas pour objet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et qu'elle serait ainsi considérée comme abusive.

 

La décision rendue par la Cour de cassation s'inscrit ainsi dans le cadre de l'élargissement de l'office du juge en matière de clauses abusives, dont le principe a été rappelé à l’article R. 632-1 du code de la consommation. Elle va cependant au-delà, en élargissant cet office à la recherche de la transparence matérielle de la clause au sens de l'arrêt Van Hove (CJUE 23 avril 2015 aff. C-96/14).

 

Ce faisant, elle permet un contôle des tables de mortalité qui constituent l'objet principal du contrat d'assurance vie (puisqu'elles déterminent le montant de la prestation versée par l'assureur).

 

> Pour en savoir plus sur la jurisprudence sur l’office du juge en matière de sanction des clauses abusives, il est utile de consulter le site de la Commission des clauses abusives.

 

 

 

Yvan Carineau,

Juriste stagiaire à l’Institut national de la consommation

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