Contrats d'assurance-vie en déshérence : la partie de cache-cache touche-t-elle à sa fin ?


Le 19 février 2014 l'Assemblée nationale a adopté en premier lecture une proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence.
 
Ce souhait législatif répond aux attentes de certains acteurs du milieu de l'assurance et notamment de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui ont pu s'interroger sur la volonté de certaines compagnies d'assurances ou mutuelles d'effectuer des recherches poussées sur les bénéficiaires de contrats d'assurances-vie venant à échéance.  Jean Marie Levaux, vice-président de cette autorité administrative indépendante n'a pas hésité devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2013 à parler de situations "honteuses et scandaleuses".
 
Tout dernièrement, l'ACPR a émis une position rappelant le principe selon lequel les frais de recherches des bénéficiaires ne devaient pas être imputés à la charge de ces derniers.
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En effet, conformément au dernier alinéa de l'article L. 132-8 du code des assurances, cette fonction de recherche est directement dévolue aux compagnies d'assurances.
 
Qu'entend-on par contrat d'assurance vie en déshérence ? Quelles sont les nouvelles mesures proposées par les députés ?
 

I   - Qu'est-ce qu'un contrat en déshérence ?
II - Les nouvelles mesures phares

 


I - Qu'est-ce qu'un contrat d'assurance-vie en déshérence ? Quels sont les moyens actuels pour rechercher les bénéficiaires ?
 
L'expression "contrat d'assurance-vie en déshérence" n'a pas de définition légale.
Cela fut rappelé par la Cour des comptes dans un rapport sur la question, p 93), en Juin 2013 :
"Il n'existe pas à l'heure actuelle de statistiques exhaustives et publiques en matière de contrat d'assurance-vie non réclamés, ni de définition légale de ce dernier".
 
De manière factuelle, il s'agit des sommes dues au titre des contrats d'assurance-vie qui ne sont pas redistribuées aux bénéficiaires désignés par les contrats après le décès des souscripteurs.
 
L'estimation basse des sommes concernées s'élève à 2,76 milliards d'euros (Cour des Comptes, rapport, p 102).
 

Quels sont les contrats d'assurance vie concernés ?
 
Il s'agit principalement :
 
- Des contrats d'assurance en cas de vie : L'assureur verse un capital ou une rente à condition que l'assuré soit encore en vie à un âge ou à une date déterminée.
 
- Des contrats d'assurance - temporaires décès : Le risque décès est couvert pendant la durée du contrat ou jusqu'à une date définie dans le contrat. En cas de décès de l'assuré pendant ce laps de temps, un capital ou une rente est versé au bénéficiaire désigné.
 
- Des contrats assurance-vie entière : le risque de survenance de décès du souscripteur est couvert sans date limite : L'assureur verse un capital ou une rente au bénéficiaire du contrat, quelle que soit la date de décès de l'assuré.
 
- Des contrats d'assurance mixte ordinaire : L'assureur s'engage à verser le capital ou la rente :
Soit à l'assuré, s'il est en vie à la date prévue au contrat
Soit au bénéficiaire désigné, en cas de décès de l'assuré avant la date prévue.
 
- Des contrats d'assurance mixte à terme fixe : L'assureur est tenu de verser un capital ou une rente à une date déterminée. Le versement a lieu au profit de l'assuré ou, en cas de décès de celui-ci, à l'échéance du contrat, à celui du bénéficiaire désigné.
 
- Des contrats d'assurance mixte « dotale » : L'assureur est tenu, au terme défini dans le contrat, que l'assuré souscripteur soit ou non vivant, de verser un capital ou une rente au bénéficiaire, dans l'hypothèse où celui-ci est toujours en vie.
 
- Les contrats collectifs en cas de décès conclus avec des entreprises (contrats de prévoyance).
 
- Les contrats collectifs de retraite (dits article 82 et 83 en référence aux articles du Code Général des Impôts (CGI)) qui peuvent être non réclamés même après le départ en retraite de l'adhérent.
 
- Les contrats de capitalisation, qui peuvent être non réclamés après l'échéance du contrat.
 
Attention : A noter que les contrats de capitalisation ne sont pas des contrats d'assurances. Ils y ressemblent par leur nature mais se distinguent par deux éléments :
-Dans un contrat de capitalisation, au contraire de l'ensemble des contrats d'assurance vie, le capital dû est toujours déterminé à l'avance ;
-L'opération de capitalisation n'est pas liée à la durée de la vie humaine. Le paiement du capital est commandé par l'échéance du titre prévu au contrat.
 
Les difficultés relatives à la recherche des bénéficiaires de ces contrats existent depuis de nombreuses années.
 
2005 et 2007 marquent un tournant important quant à la volonté des pouvoirs publics  : il s'agit de lutter contre les réticences que peuvent montrer certains assureurs à rechercher trop activement les bénéficiaires des rentes ou capitaux.
En effet le législateur a, sous l'égide de l'Association pour la Gestion des Risques en Assurances (AGIRA), crée deux dispositifs : AGIRA 1 et AGIRA 2.
 
Le mécanisme AGIRA 1, issu des dispositions légales des articles L. 132-9-2 du code des assurances et  L. 223-10-2 du code de la mutualité, permet à toute personne, en son nom propre, ou pour le compte d'autres personnes (ex : Un notaire en charge de la gestion de la succession d'un personne décédée), de demander à être informée si elle est ( ou la ou les  personne(s) dont elle est le mandataire ) bénéficiaire d'un contrat souscrit par une personne décédée.
 
La copie de l'acte ou du certificat de décès doit être annexée à la demande. Cette dernière comprend obligatoirement :
- les noms, prénoms et adresses du ou des éventuels bénéficiaires ;
- les noms, prénoms et dates de naissance et de décès du ou des défunts.
 
L'Agira sert à cette occasion de boite au lettre unique aux quatre organismes professionnels qui sont habilités à traiter de ces demandes à savoir : la Fédération Française des sociétés d'assurances (FFSA), du Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA), du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) et de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF)
 
Cet organisme doit transmettre les demandes de vérifications aux assureurs dans les 15 jours suivant la réception de la lettre ou du courriel.
 
Lorsque la personne qui a formulé la demande ou les éventuels bénéficiaires présents sur la demande sont désignées dans un contrat comme bénéficiaires, l'assureur, qui aura identifié le contrat souscrit par le défunt, a un mois pour informer le ou les bénéficiaire(s) de l'existence d'un capital ou d'une rente à leur intention.
 
Le mécanisme AGIRA 2, issu de la loi du 17 décembre 2007, permet aux assureurs de consulter, via l'AGIRA, le répertoire  national d'identification des personnes physiques (RNIPP). Ce fichier est mis à disposition par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
 
Pour de renseignements, consulter le site de l'Agira.
 
Malgré ces différents dispositifs, un rapport de la Cour des Comptes, publié en juin 2013, précédant de quelques jours l'adoption de la loi  de séparation et de régulation des activités bancaires 26 juillet 2013, a soulevé les difficultés récurrentes quant à l'attribution des capitaux ou rentes normalement dus aux bénéficiaires.
 
Le rapporteur général de la commission des finances de l'assemblée nationale a ainsi déposé le 13 novembre 2013 une proposition de loi qui a été adoptée le 19 février par cette même assemblée.
 

 

II - Les nouvelles mesures phares
 
La proposition de loi adoptée en février 2014, qui après son éventuellement adoption par le Sénat au cours du mois d'avril 2014, s'appliquera au 1 er janvier 2016, propose principalement quatre mesures permettant, une nouvelle fois, de limiter au maximum l'existence de contrat d'assurance vie en déshérence :
 
- Une consultation annuelle par les assureurs du répertoire national d'identification des personnes physiques aux fins de déterminer si les souscripteurs des contrats d'assurance vie qu'ils détiennent en stock sont décédés (article 4, I).
 
- Un rapport annuel doit être établi par les Entreprises d'assurances, Institutions de prévoyances et Unions de mutuelles à l'attention de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ainsi que du ministre chargé de l'économie. Ce rapport précise le nombre de contrats d'assurance vie ou de capitalisation dont les capitaux ou les rentes dus n'ont pas été versés au bénéficiaire (article 4, I).
 
- L'obligation d'information annuelle, issue de l'article L. 132-22 du code des assurances et portant sur les différents éléments du contrat (montant des capitaux garantis, prime du contrat, valeur de rachat, taux de rendement…), est étendue et élargie (article 4, I) :

- Etendue à tous les contrats d'assurance vie : en effet le seuil minimum de 2000 euros de provision mathématiques (sommes mises de côté par l'assureur afin de répondre à ses engagements futurs) permettant d'enclencher cette obligation d'information annuelle est supprimé ;

- Elargie, dans la mesure où, pour les contrats comportant un terme, l'entreprise d'assurance ou de capitalisation devra adresser au contractant, un mois avant la date de ce terme, un relevé d'information spécifique. Ce relevé, outre les mentions édictées à l'article L. 133-22 du code des assurances, devra rappeler, en caractères très apparents, le terme du contrat et le fait que la revalorisation cesse à compter de cette date.

- Les sommes dues au titre des contrats d'assurance-vie ou contrats de capitalisation, qui ne font pas l'objet d'une demande de versement de capital ou de prestations, sont déposées à la Caisse des dépôts et des Consignations dans un délai de dix ans à compter de la connaissance par l'assureur du décès de l'assuré ou de l'échéance du contrat (article 4, I).
 
Au bout de vingt ans après ce dépôt, la Caisse des dépôts et consignation devient propriétaire des sommes collectées (article 4, III).
 
En outre, les notaires en charge de la succession des  personnes défuntes pourront accéder au fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) afin d'observer si les ayants droits de la personne dont ils gèrent la succession sont d'éventuels bénéficiaires de contrats d'assurance vie.
 
A noter que cette mesure de l'article 7 bis de la proposition de loi va faire prochainement l'objet d'une saisine de la Commission Nationale de l'informatique et des Libertés par le Groupement des Entreprises Mutuelles d'Assurance.
 
En guise de conclusion, le vice-président de l'ACPR en charge des assurances a émis une idée dont les sénateurs vont pouvoir peut être se saisir au cours de leur lecture du texte : inscrire à côté de la case destinée à l'identité du bénéficiaire le numéro de sécurité sociale de ce dernier.
Ce numéro étant unique, les cas relatifs aux homonymies deviendraient inexistants et le consommateur bénéficiaire serait identifié de manière extrêmement rapide.
Cette solution gagnerait en clarté et éviterait de voir de nouveau surgir des contentieux qui n'ont plus lieux d'être….
 
Pour de plus amples informations sur le suivi du texte consulter le dossier législatif sur le site de l'Assemblée nationale.
        
 

Charles Le Corroller,Juriste
 
 

 

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