La production du questionnaire : une victoire totale pour l'assuré


10 janvier 2012–3 juillet 2014 : telle est la période au cours de laquelle le droit des assurances, et plus particulièrement celui du contrat d'assurance, a subi une profonde révolution synonyme d'une protection optimale de l'assuré.
 
En effet par un arrêt en date du 3 juillet 2014 (n° 13-18 760)  publié au Bulletin, et donc amené à constituer une décision marquante que les juges du fond seront tenus de prendre en compte, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation

se rallie à la position constante de la chambre criminelle, réitérée par un arrêt de principe en date du 10 janvier 2012, dont le bien-fondé avait été récemment consacré par la chambre mixte chargée d'unifier la jurisprudence : nécessité, pour l'assureur qui entend s'en prévaloir, de produire le questionnaire de déclaration initiale du risque aux fins d'obtenir la nullité du contrat d'assurance sur le fondement de l'article L. 113-8 du code des assurances.
 
En quoi l'arrêt du 3 juillet 2014 clôt-il la divergence jurisprudentielle ? Quelles en sont les conséquences pratiques à l'heure du développement fulgurant de la souscription à distance ?
 
S'interroger de la sorte, c'est analyser, dans un premier temps, la portée du ralliement plein et entier de la deuxième chambre civile à la solution retenue par la chambre mixte et son refus de voir dans le dol une solution de repli permettant d'obtenir la nullité du contrat d'assurance (I) avant d'analyser les conséquences qui seront celles de l'application de cet arrêt à l'heure de la souscription à distance : un schéma actuel à repenser ? (II)
 
I - Le ralliement plein et entier de la deuxième chambre civile à la position de la chambre mixte et la mise à l'écart de l'application du dol en matière de nullité du contrat d'assurance
 
A - Une position commune à toutes les formations de la haute juridiction : un ouf de soulagement pour le consommateur
 
Cet arrêt était particulièrement attendu par la doctrine, les assureurs et les assurés, pas forcément pour les mêmes raisons, afin de clore une période d'instabilité juridique lourde.
Force est de constater que l'arrêt de la chambre mixte du 7 février dernier, censé trancher définitivement une question de droit, à savoir le formalisme de la déclaration des risques – questionnaire préalable à la conclusion du contrat ou déclarations prérédigées insérées dans les conditions particulières signées postérieurement à cette conclusion –, avait pu susciter quelques doutes quant au moment où le questionnement devait intervenir : avant ou lors de la conclusion du contrat.
 
En effet, c'est implicitement que la chambre mixte, en condamnant la pratique des déclarations prérédigées insérées dans les conditions particulières et en exigeant de l'assureur, qui entend se prévaloir des réponses qui lui ont été faites, de justifier des questions par lui posées, avait situé la phase du questionnement, nécessaire au calcul du tarif sur lequel les parties doivent impérativement s'accorder, avant la conclusion du contrat. La solution de la reconnaissance du questionnaire préalable à la conclusion comme unique « instrumentum » permettant de prouver la fausse déclaration des risques était, en réalité, évidente.
 
La chambre criminelle l'a d'ailleurs réaffirmé quelque temps plus tard (Cass. crim., 18 mars 2014, n° 12-87 195) : seul le questionnaire, préalable à la conclusion, fait foi en la matière. La pratique des clauses de déclarations pré-imprimées, insérées dans les conditions particulières, qu'elles soient générales (« le conducteur n'a pas fait l'objet d'une annulation au cours des trente-six derniers mois ») ou personnalisées (« Monsieur X déclare ne pas avoir fait l'objet d'une annulation ou suspension de permis au cours des trente-six derniers mois ») est condamnée.
 
La deuxième chambre civile, après quelques hésitations de sa formation restreinte, notam-ment quant à la nécessité d'un questionnaire préalable à la conclusion aux fins de constater une fausse déclaration (Cass. civ. II, 12 juin 2014, n° 13-18 936 : au-delà du recours à tel formulaire, énonçant les questions et les réponses apportées, des déclarations personnalisées, insérées dans les conditions particulières et répondant aux questions manifestement posées, pourraient être suffisantes), approuve, de manière solennelle, dans sa formation élargie, les juges du fond d'avoir refusé de tenir compte de déclarations pré-imprimées insérées dans les conditions particulières en l'absence de production par l'assureur du questionnaire (élément matériel) soumis au candidat à l'assurance avant la conclusion du contrat (élément temporel).
 
Cet arrêt conforte, donc, de manière certaine, sans que plus aucune contestation ne soit possible, la sécurité optimale pour le consommateur lors de la souscription du contrat d'assurance.
 
Il est très important d'avoir à l'esprit que la plupart des arrêts récents rendus en matière de fausse déclaration intentionnelle de risque et tranchant cette problématique sont intervenus en matière d'assurance automobile obligatoire – même si tant la chambre criminelle, dans le cadre du contentieux des violences involontaires, que la deuxième chambre civile connaissent, par évidence, d'autres types d'assurance.
 
Ce régime spécifique prévoit l'intervention d'une autorité administrative indépendante (AAI) : le Bureau central de tarification (BCT), qui a pour rôle d'imposer à un assureur ayant refusé un risque donné d'assurer ce risque à un taux de prime fixé par ses soins.
Pour pouvoir être valablement saisie, cette AAI doit, conformément à l'article R. 250-4 du code des assurances, disposer « d'éléments d'information relatifs à l'affaire dont elle est saisie et qui lui sont nécessaires pour prendre une décision et notamment le tarif de l'entreprise applicable au risque proposé ».
 
Bien que l'article A. 212-1 du code des assurances ait été abrogé par arrêté en date du 27 novembre 1992, le BCT exige toujours, pour la régularité de sa saisine, la production d'un exemplaire de la proposition d'assurance qui correspond au formulaire de déclaration initiale des risques que l'assureur est tenu, en application de l'article A. 250-2, de mettre à disposition de toute personne en faisant la demande.
 
Dès lors, et comme l'a très bien illustré le parquet général de la Cour de cassation dans son avis présenté en vue de l'arrêt de la chambre mixte du 7 février 2014 (page 31, premier et deuxième paragraphes, consultable sur le site de la Cour de cassation, onglet jurisprudence, rubrique chambre mixte), prôner la suppression du questionnaire préalable comme mode de déclaration initiale des risques, ce serait empêcher le candidat à l'assurance de saisir le BCT lorsque l'assureur sur lequel il a porté son choix refuse de répondre à sa sollicitation.
 
Le système d'assurance automobile obligatoire français est, contrairement au système belge par exemple, basé sur le libre choix par le prospect de l'assureur auprès duquel il souhaite souscrire son risque. Par suite, le candidat à l'assurance qui se heurte à un refus d'assurance de la part de l'assureur par lui choisi doit pouvoir demander l'arbitrage du BCT, chargé de fixer la prime qui devra lui être réclamée par l'assureur concerné.
Il est, ainsi, toujours possible à un candidat à l'assurance de faire échec au refus d'assurance qui lui a été dans un premier temps opposé par l'assureur qu'il a contacté (cet élément est d'ailleurs rappelé en page 9 de l'avis précité du parquet général).
Dès lors, si certains acteurs intervenant sur la branche 10 (responsabilité civile véhicule des opérations d'assurance), et qui entendent opposer un refus d'assurance, ne remettent pas aux prospects qui la sollicitent la proposition d'assurance contenant le questionnaire de déclaration initiale des risques, ils contreviennent au fonctionnement régulier du système de l'assurance automobile obligatoire, car ils paralysent la saisie du BCT dans sa mission essentielle de régulation du refus d'assurance.
 
Au-delà de la question du formalisme de la déclaration des risques, l'arrêt du 3 juillet 2014 condamne une solution de repli que certains assureurs souhaitaient utiliser en cas de non-production aux débats du formulaire de questionnement : l'utilisation du dol.
 

B - Invoquer le dol en l'absence du questionnaire : inutile d'y penser
 
La deuxième chambre civile se retranche, à cet effet, derrière sa propre jurisprudence issue d'un arrêt en date du 3 juin 2010 qui condamne la possibilité pour l'assureur d'obtenir la nullité du contrat d'assurance en cas de fausse déclaration de son assuré en se prévalant d'un dol, sans apporter la preuve qu'une question a, bel et bien, été posée à l'assuré.
 
Inutile d'insister sur le fait qu'ouvrir une telle faculté remettrait tout simplement en cause le système du questionnaire fermé (qui limite, dans un souci de protection, les obligations du candidat à l'assurance en le contraignant à répondre aux seules questions qui lui ont été posées), issu de la loi du 31 décembre 1989 dite « Bérégovoy ».
 
A ce titre, le conclusif de l'arrêt du 3 juin 2010 est très enrichissant sur le pourquoi du refus d'acceptation du dol pour reconnaître la nullité du contrat: « Mais attendu que l'arrêt retient que l'assureur, qui, conformément aux dispositions de l'article L. 113-2 du code des assu-rances, n'a pas posé à l'assuré une question qui aurait dû conduire ce dernier à lui déclarer la procédure de contrôle, n'est pas fondé à se prévaloir d'une réticence ou de fausse déclaration émanant de ce dernier ; que l'assureur prétend encore avoir été trompé de manière délibérée par la société X, qui s'est abstenue de l'aviser de la procédure de contrôle en cours, de sorte que la nullité du contrat d'assurance devra être ordonnée sur le fondement de l'article 1116 du code civil ; que faire droit à cette argumentation reviendrait à vider l'article L. 113-2 du code des assurances de sa substance ; qu'en effet, il serait contradictoire d'exiger de l'assureur qu'il pose une question devant conduire l'assuré à lui déclarer la procédure de contrôle en cours et dans le même temps de retenir que l'assuré devait nécessairement déclarer cet événement ; que ce moyen ne saurait donc prospérer ».
 
Si l'assureur n'a pas posé de question, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même, y compris en cas de réticence dolosive de l'assuré : pas de question, pas de fausse déclaration (Cass. civ. II, 15 février 2007, n° 05-20 865).
 
Il est intéressant de noter que les arrêts du 15 février 2007 et du 3 juin 2010 sont intervenus dans la même affaire, la deuxième chambre civile ayant voulu couper court à toute solution de repli qui aurait réduit à néant la protection du consommateur à qui aucune question n'a été posée et qui n'a fait, comme cela est son droit, aucune déclaration spontanée.
 
La confirmation de ce raisonnement, après les arrêts du 7 février 2014 et 18 mars 2014, est source de clarification : seul le droit spécial, introduit pour assurer une pleine protection du consommateur, est applicable.
 
Cette divergence de jurisprudence close, il faut observer quelles peuvent être les conséquences du formalisme strict de déclaration initiale des risques.

 

II - L'application de l'arrêt à l'heure de la souscription à distance : un schéma actuel à repenser ?
 
Le développement fulgurant de la souscription à distance via le système des comparateurs, qui va s'accroître notamment par l'application de l'article L. 113-15-2 du code des assurances imposant la faculté de résiliation du contrat d'assurance de manière infra-annuelle, nécessite de s'interroger sur la légalité des opérations de souscription à distance à la lumière de la nouvelle jurisprudence relative au questionnaire.

A - Les comparateurs d'assurance : une fois transmis le questionnaire de devis, tous les acteurs référencés doivent effectuer une réponse
 
La pratique des comparateurs d'assurance sur Internet va, à la lecture de l'arrêt du 3 juillet 2014, devoir évoluer.
En effet, pour les comparaisons de contrats d'assurance automobile obligatoire, la possibilité de sélection de la clientèle à travers les réponses à un questionnaire dit « de devis » est remise en cause, puisque tout candidat à l'assurance doit pouvoir obtenir d'un assureur rendu destinataire de ses données, à supposer cette communication possible, une réponse se traduisant par une acceptation de contracter à un tarif précisé ou par un refus qu'il doit pouvoir contester.
 
Il semble difficilement concevable que certains assureurs présents sur le site utilisent les données qui ont été collectées pour faire une sélection de leurs clients potentiels en opposant à certains d'entre eux un refus implicite de contracter, matérialisé par une non-réponse à la demande de tarif émanant du comparateur, sans les mettre en mesure d'en saisir le BCT.
 
Il conviendrait, dès lors, que le candidat à l'assurance soit rendu destinataire d'une copie du questionnaire de devis, au vu de laquelle il devrait pouvoir contraindre ceux des assureurs qui se sont abstenus de lui faire une offre de lui répondre en saisissant, le cas échéant, le BCT de leur carence.
 
Le BCT, rappelons-le, est en effet tenu en ce qui concerne le choix de l'assureur. Nous nous permettons à ce titre de reprendre l'avertissement présent sur son site en ce qui concerne cette problématique : "Vous devez (avant de nous saisir) choisir l'assureur auquel vous souhaitez vous adresser : il ne saurait être question pour le Bureau central de tarification de désigner d'autorité un assureur auquel il serait imposé de vous garantir".
 
Plus généralement, il est sans doute nécessaire de se pencher sur les dysfonctionnements du système en vigueur, conçu pour permettre à tout candidat à l'assurance de trouver un assureur à un prix abordable et qui, en pratique, semble générer, pour partie, la non-assurance.
 

B - La non-assurance automobile : le questionnaire, un des éléments essentiels pour la conjurer
 
Le rapport d'activité 2013 du Fonds de garantie (le Fonds), présentant les activités du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) et du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), contient des informations intéressantes sur la problématique de la non-assurance routière.
 
Il y est dressé un constat alarmant de la non-assurance plus spécifiquement auprès d'un public jeune : 59 % des conducteurs non assurés ont moins de 35 ans. Un public qui, par définition, est « accro » à l'utilisation des nouvelles technologies aux fins d'effectuer des comparaisons sur le taux de prime qu'ils doivent débourser pour être assurés au minimum (RC au tiers).
 
Au-delà des conducteurs qui roulent sans permis, il est constaté que des jeunes conducteurs, pour des problèmes de coût de l'assurance, décident de ne pas s'assurer.

Le Fonds dénonce cette situation depuis de nombreuses années en soulignant de manière subtile les difficultés rencontrées par certaines tranches de candidats pour accéder à l'assurance.
 
Il est patent que l'immense majorité des assureurs font poser de multiples questions aux candidats à l'assurance (il suffit de consulter un comparateur pour s'en rendre compte), sans leur remettre nécessairement une copie des questions posées et une copie des réponses apportées, dans le seul dessein de les sélectionner.
 
Selon des sources autorisées, ces techniques, bien connues de la profession, pourraient engendrer des dérives tendant :
 
a) soit à faire supporter le coût des sinistres par la communauté des assurés (on accepte, pour des raisons commerciales, d'assurer certains profils en sachant qu'il sera possible, grâce à la technique des déclarations pré-imprimées, de leur opposer une éventuelle nullité qui engendrera une prise en charge du sinistre par le Fonds, pour partie financée par cette communauté : voir l'avis du parquet général de la Cour de cassation page 7 et note 50 page 26) ;
 
b) soit à aboutir, de manière éventuellement indirecte, à l'éviction pure et simple de certains candidats qui ne se verraient pas opposer un refus d'assurance (parce que l'on ne souhaite pas se les voir imposer par le BCT) et qui seraient orientés vers des courtiers spécialisés dans les mauvais risques et travaillant avec certaines filiales de compagnies d'assurances qui s'attacheraient à ne pas fidéliser leurs clientèles grâce à des politiques commerciales bien pensées (se reporter sur ce point aux observations d'un professionnel avisé cité dans l'avis du parquet général de la Cour de cassation et publiées dans la RGDA 2012, p. 623) ;
 
Tout cela mériterait, sans doute, d'être clarifié afin de lever toute suspicion.
Il est, en outre, acquis que certains tarifs dissuasifs sont pratiqués dans des conditions qui devraient être éclaircies. La réponse du ministre des finances et des comptes publics publiée dans le JO Sénat du 28 août 2014, p. 1991, à une question écrite portant sur le « surcoût des tarifs d'assurance automobile subi par les sans-emploi » illustre cette analyse.
 
A cet égard, la réactivation du questionnaire pour soulever la nullité du contrat d'assurance va réintroduire de manière cruciale le rôle du BCT dans son rôle de régulation du marché.
 
Il sera logique que tout candidat à l'assurance soit rendu destinataire d'une copie du questionnaire qu'il a complété, cela pour pouvoir saisir sans difficulté cet organisme et que tout soit fait pour lui permettre de choisir au mieux le contrat qu'il entend souscrire : on pourrait à cet effet prévoir que l'ACPR, qui les détient, mette à la disposition des candidats à l'assurance l'ensemble des conditions générales qui pourraient être consultées sur Internet.
 
L'attention du candidat à l'assurance devrait être spécialement appelée sur la nécessité qui est la sienne de remplir correctement le questionnaire, et sur les contrôles qui peuvent être effectués par l'assureur – que les délibérations récentes de la CNIL (n° 2014-015 du 23 janvier 2014 et n° 2014-312 du 17 juillet 2014) vont largement faciliter en autorisant des croisements de fichiers notamment de condamnations à des infractions routières.

 

Charles Le Corroller, Juriste à l'Institut national de la consommation
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