Accès à l'information : dématérialiser est-il synonyme de simplifier ou de complexifier ?
Etude juridique
Le confinement du printemps 2020 induit par la situation sanitaire liée au coronavirus a fortement développé les recours au numérique : télétravail, organisation de réunions, webinar, conférences, achats en ligne, assemblées générales d'associations ou de copropriétés dématérialisées...
L'utilisation du numérique a présenté de réels avantages pour maintenir un lien aussi bien professionnel, personnel, amical que pour satisfaire ses besoins primaires (alimentation, santé...).
La dématérialisation des échanges a été accélérée en 2020 mais était déjà amorcée depuis plusieurs années. Utilisation des data, création de bases de données, comparateurs..., l'information en ligne du public a été renforcée et les usages démultipliés. Cependant, cette utilisation intensive de la dématérialisation de l'information suscite des interrogations.
L'Institut national de la consommation vous présente certains éléments de réflexion sur la dématérialisation de l'information.
1 - LES ELEMENTS DU DEBAT : LA DEMATERIALISATION DU QUOTIDIEN
2 - LA DEMATERIALISATION DE L'INFORMATION POUR FACILITER L'ACCES A LA JUSTICE ?
2.1 - Les nouvelles technologies au service de la justice : le développement de la legaltech
2.2 - La mise en place de la justice prédictive, objectif final de la legaltech ?
2.3 - L'apparition de questions juridiques sur l'utilisation de la legaltech
3 - DEMATERIALISER L'INFORMATION POUR DEMOCRATISER L'ACCES A L'IMMOBILIER ?
3.1 - La technologie au service du logement : de la construction à la gestion de l'immeuble
3.2 - La nouvelle technologie est-elle réellement au service de l'habitant ?
4.1 - Un traitement difficile voire impossible des informations par l'humain
4.2 - Une déshumanisation des rapports humains
Actualité : Vous avez reçu un document administratif compliqué ? Vous pouvez le soumettre à amélioration sur le site "https://docs.voxusagers.gouv.fr/". La Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) transmettra votre suggestion à l'administration pour faire évoluer ce document. |
1 - LES ELEMENTS DU DEBAT : LA DEMATERIALISATION DU QUOTIDIEN
“Dans la société de l’information, personne ne pense. Nous pensions bannir le papier mais nous avons en fait banni la pensée”. Ce jugement sévère a été émis par Michael Crichton, écrivain, scénariste et réalisateur américain.
Le développement de la société de l'information résulte en particulier de l'avènement d'Internet.
Mars 1989, mise en ligne de la première page Web par le Centre européen de recherche nucléaire. La démocratisation d'Internet s'est développée à partir de 1990. En 2019, 4,4 milliards d'internautes étaient dénombrés à travers le monde. Aujourd'hui, les êtres humains utilisent Internet dans leur quotidien : consultation des comptes bancaires à distance, achat d'un billet de train en ligne ou d'une nouvelle chemise, déclaration de ses revenus sur impots.gouv.fr, réservation d'une table au restaurant, envoi d'une lettre recommandée électronique, demande d'un acte de naissance... Tout est possible (ou presque !) sur Internet.
Deux secteurs ont vécu particulièrement une véritable révolution numérique ces dernières années : l'immobilier et la justice. Ces évolutions sont décrites dans les paragraphes suivants.
2 - LA DEMATERIALISATION DE L'INFORMATION POUR FACILITER L'ACCES A LA JUSTICE ?
La nouvelle technologie est devenue, ces dix dernières années, un acteur à part entière pour rendre Justice. Mais cette nouvelle justice est-elle juste ? Les avocats et conseils seront-ils remplacés par la machine ?
2.1 - Les nouvelles technologies au service de la justice : le développement de la legaltech
La définition de la legaltech
La LegalTech est définie comme l'intersection entre la technique et le juridique. La justice s'est progressivement adaptée au numérique. Ont ainsi été développés des bases de décisions judiciaires, le portail du justiciable "Justice.fr", le Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA) permettant une communication dématérialisée entre confrères... Cette dématérialisation est complexe dans un monde fortement attaché à l'écrit en raison des enjeux des dossiers, au secret des correspondances, à la conservation des preuves...
De façon généraliste, la legaltech fait référence à l’usage de la technologie et de logiciels pour offrir des services juridiques. La page Wikipedia de la legaltech présente des exemples technologiques au service du droit.
Ainsi, les domaines dans lesquels les entreprises de la legaltech interviennent sont :
- la gestion d’affaire, la facturation et la comptabilité,
- le stockage et la génération de documents,
- la communication de pièces électroniques lors de procédures judiciaires ou gouvernementales,
- la recherche de documents juridiques,
- le règlement des litiges en ligne.
Les évolutions récentes de la Legaltech se concentrent sur :
- des plateformes d'actions collectives
- des plateformes de mise en relation de clients avec des avocats,
- la mise à disposition d’outils permettant aux particuliers et entreprises de faire leurs formalités juridiques par elles-mêmes sans passer par un avocat,
- l’analyse de contrats et de données,
- l’automatisation de la rédaction juridique,
- l'assistance juridique en ligne.
Des exemples d'outils de legaltech dans le monde juridique et judiciaire
Malgré l'existence de difficultés, les professions judiciaires se sont progressivement adaptées à ces nouvelles possibilités.
L'open data des décisions de justice a été renforcé par le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives. Le Conseil d’État et la Cour de cassation sont responsables de la mise à disposition du public des décisions de justice sous format électronique. Les décisions des juridictions administratives sont mises à disposition dans un délai de 2 mois à compter de la décision. Les décisions des juridictions judiciaires le sont dans un délai de 6 mois à compter de leur mise à disposition au greffe de la juridiction. Il est également prévu des mesures d'occultation des éléments d'identification des personnes physiques, parties ou tiers ou bien encore magistrats ou membres de greffe, en cas d'atteinte à leur vie privée ou leur sécurité.
L'ensemble des décisions sont mises en ligne et de nombreux sites les diffusent en adoptant un moteur de recherche très pointu. Cette diffusion permet une transparence et un accès des citoyens aux décisions rendues par les Juridictions. Néanmoins, deux enjeux se posent : la sélection et l'analyse des décisions, mais également l'anonymisation des décisions pour préserver la vie privée des personnes citées. Loïc Cadiet, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (université Paris-I), a remis, à la Garde des Sceaux, le 9 janvier 2017, un rapport sur l’open data des décisions de Justice. Il préconisait notamment :
- de renforcer les techniques existantes dites de "pseudonymisation" des décisions, afin d’assurer la protection de la vie privée des personnes, qui est garantie par la loi pour une République numérique,
- d’instituer une régulation des algorithmes qui exploitent les données issues des décisions, afin d’assurer une transparence sur les méthodologies mises en œuvre,
- de définir les principes directeurs de l’architecture nouvelle de l’open data, en confiant la gestion des bases à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat, ainsi que la mission essentielle de "pseudonymisation" des décisions collectées auprès des juridictions,
- d’exposer les principales possibilités de diffusion des décisions au public.
Le "Portail du justiciable" est une application fondée sur une communication par voie électronique des informations relatives à l'état d'avancement des procédures civiles utilisant le réseau internet. Il permet la communication par voie électronique au justiciable des avis, convocations et récépissés émis par le greffe des tribunaux de première instance ou des cours d'appel. Cet outil est encadré par un arrêté encore récent en date du 6 mai 2019.
Le service "Télérecours citoyens" permet à un justiciable de déposer un mémoire et de suivre son avancée devant le tribunal administratif. Ces avancées sont notables car elles permettent de supprimer l'opacité que l'on peut parfois prêter aux juridictions.
Les bases de données juridiques se multiplient sur des sites de service public, tels que Legifrance ou des sites commerciaux, tels que "doctrine.fr", "lexis-nexis"...
2.2 - La mise en place de la justice prédictive, objectif final de la legaltech ?
Ces dernières années ont vu se développer le concept de "Justice prédictive". Il s'agit d'algorithmes, s'appuyant sur une base de données, permettant de déterminer une décision en fonction d'éléments.
La justice prédictive va donc plus loin que les bases de données juridiques, qui peuvent être définies comme des "Google" du droit. Elles possèdent un moteur de recherche, qui permet à partir d'un mot clé, d'avoir la liste de l'ensemble des décisions rendues par les Juridictions sur ce thème. L'internaute doit ensuite les analyser.
Ici, l'idée est de développer un outil permettant de juger des faits et d'obtenir une décision.
Les avantages de cette technique seraient de désengorger des tribunaux débordés par le nombre de dossiers à traiter chaque année. De même, l'outil analysera les milliers de décisions enregistrées dans la base, ce que l'humain ne peut faire. Outre le gain de temps, la déjudiciarisation peut conduire à une augmentation de la performance de la justice, ainsi qu'à une certaine homogénéisation. Un Juge pourra-t-il se démarquer des solutions adoptées dans d'autres Tribunaux ? L'aléa existera-t-il toujours ?
De même, quelles seront les conséquences d'une erreur de qualification juridique ? Le juge pourra-t-il corriger ? Aura-t-il toujours la possibilité de soulever d'office certains moyens comme cela est aujourd'hui possible pour certains contentieux, comme en droit de la consommation ?
Enfin, pour respecter le principe du contradictoire, les parties doivent pouvoir connaitre et vérifier l'algorithme utilisé.
Cette possibilité technique est envisagée pour s'appliquer assez facilement dans les dossiers d'indemnisation médicale, par exemple, où des barèmes sont utilisés pour indemniser le préjudice subi par une personne.
La Justice prédictive s'adapterait particulièrement aux dossiers "chiffrés". Elle ne semble pas pouvoir s'appliquer aux dossiers de droit de la famille ou de droit pénal par exemple. Elle s'adapterait également parfaitement aux dossiers complexes. Il s'agit de construire un scanner qui rend apparent les choses cachées, qui analyse le nombre très important de décisions de justice rendues chaque année.
Ces nouveaux outils seront de véritables aides dans le rôle de conseil de l'avocat. Il pourra faire état à son client d'une tendance de jurisprudence en fonction des éléments de son dossier, en étant très précis, en affinant.
De façon parallèle, des plateformes de résolution des litiges en ligne ont été créées par différentes structures : organismes publics, associations, société commerciale... Ces outils offrent de nombreux avantages : un accès facile, la suppression du formalisme propre aux courriers papiers, un guide dans les démarches... Cependant, le coût de ces démarches peut parfois être très élevé, à l'exception notable du recours à une plateforme permettant de saisir le médiateur de la consommation, dont la saisine doit demeurer gratuite.
L'internaute peut également oublier de se ménager des preuves de l'exercice de son recours, ce qui peut avoir des conséquences très importantes sur les chances de succès de son recours judiciaire.
Actuellement, la médiation et la conciliation sont en plein essor. Avec le développement de la justice prédictive, la société évoluera d'une justice sans juge à des jugements sans juge. Cette équation ne va-t-elle pas conduire à une absence de justice ? A une désacralisation de la justice ? Le droit d'avoir recours à un juge est-il en train de disparaitre ?
Cette critique doit être relativisée. En effet, certains auteurs nuancent en faisant remarquer qu'il ne s'agit pas de créer une "justice prédictive", mais "une justice prescriptive". Le but n'est pas de prévoir l'avenir mais de prendre en considération le passé.
2.3 - L'apparition de questions juridiques sur l'utilisation de la legaltech
Se posent de nouvelles questions juridiques : le traitement des données personnelles par la plateforme de résolution des litiges, la conservation des preuves, la valeur d'un recours en ligne, les possibilités de faire un recours contre la décision. Dématérialiser ne semble donc pas toujours dire simplifier et faciliter...
Que veut dire dématérialiser pour une personne qui n'a pas accès à Internet ? Cette dernière se trouve alors confrontée à un véritable parcours du combattant... Il faut trouver le matériel informatique pour y avoir accès, mais également savoir l'utiliser... Cette question n'est pas anodine car la fracture numérique en France est réelle. L'illectronisme touchait 17% de la population, en 2019, selon l'INSEE, comme le rappelle le site gouvernemental "viepublique.fr". Le Défenseur des droits et une mission parlementaire travaillent actuellement sur ce sujet pour améliorer ce constat.
Outre les problèmes informatiques, si le citoyen veut exercer un recours, il doit également connaître les différentes possibilités qui s'ouvrent à lui. Faire une recherche sans connaître les solutions s'ouvrant à lui peut conduire à une issue incertaine face aux méandres d'Internet. Il doit ainsi connaître les règles procédurales : quel Tribunal saisir ? Judiciaire ? Administratif ? Comment ? Par une requête ? Une assignation ? Une phase de conciliation est-elle obligatoire ? La legaltech donne du contenu, mais ne précise pas le raisonnement à tenir, qui parait pourtant être la base... La dématérialisation peut laisser penser que l'exercice d'un recours est simple et facile. Malheureusement, certaines méconnaissances, notamment de délais, peuvent conduire à ce que le Juge rejette le recours. Cette absence de connaissances sera fortement préjudiciable pour le requérant.
De même, un "accès simplifié" ne signifie pas une "qualité amoindrie". Le justiciable doit être vigilant sur la qualité de son recours au niveau de l'écriture, de la connaissance des règles juridiques et procédurales. Il convient de distinguer l'information de l'interprétation. Connaitre une règle nécessite de l'avoir identifiée, mais surtout de la comprendre, de la contextualiser, d'en comprendre les enjeux pour l'analyser. Comme le médecin, le juriste est un expert qui pose un diagnostic et trouve un remède. Dématérialiser ne veut donc pas dire non plus populariser à l'extrême et ce dans l'intérêt de la Justice et des justiciables. En effet, certains concepts techniques, pour ne pas dire la plupart, permettent paradoxalement de protéger le citoyen car ils affinent l'interprétation de la règle.
Portalis, "père" du code civil déclarait en 1804 : "Quoi que l’on fasse, les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie. Les besoins de la société sont si variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés et leurs rapports si étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout". Il ajoutait que "l’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application". Aurait-il pu inclure la technologie dans sa déclaration ? Cela serait fort étonnant car il rappelle l'importance de la communication humaine.
Le Juge doit être humain, car "un bon juge est celui qui a acquis une connaissance de l'injustice", disait Platon. Pierre-Claude-Victor Boiste ajoutait que "le juge doit avoir le livre de la loi à la main et son esprit dans le cœur". L'humanité ne peut être transmise par un robot.
3 - DEMATERIALISER L'INFORMATION POUR DEMOCRATISER L'ACCES A L'IMMOBILIER ?
"La technologie de l’information a changé la façon dont les gens créent de la valeur économique”, a déclaré Alan Greenspan, économiste américain. L'immobilier est concerné par cette mutation, qui présente des aspects négatifs et positifs.
3.1 - La technologie au service du logement : de la construction à la gestion de l'immeuble
Le temps de l'immobilier est soumis à un temps long. Longtemps, l'immobilier n'a pas été digital en raison de ces enjeux calendaires, contrairement à la foodtech ou à la fintech, par exemple. Ces dernières années, l'immobilier vit une véritable révolution numérique. Internet a simplifié toutes les étapes de la vie d'un logement : la construction, la vente, la mise en location, la signature de contrats, la recherche d'artisans pour faire des travaux...
Six catégories d'opérations peuvent désormais être réalisées en ligne :
1 - Le développement foncier est devenu, de façon certaine, numérique. Planification, gestion du sol... connaissent un développement exponentiel grâce au numérique.
2 - Le montage et la conception d'un programme immobilier se réalisent désormais en ligne.
3 - La construction et la livraison des bâtiments ont été accélérées par le numérique. Les nouvelles technologies permettent de concevoir un logement grâce au BIM ou Building Information Modeling. Il s'agit d'une maquette numérique paramétrique 3D qui contient des données intelligentes et structurées. Le travail du concepteur est encore plus précis. Le futur occupant peut personnaliser son logement jusqu'au dernier moment.
4 - Le numérique a accéléré la commercialisation et a facilité les transactions.
Lors de la vente d'un immeuble, les vendeurs peuvent passer une annonce sur internet pour trouver un acquéreur. Les candidats peuvent ensuite visiter le logement en ligne, devant leur écran. Le compromis de vente pourra ensuite être rédigé en ligne, voire signé électroniquement par les parties. La signature des actes authentiques à distance est désormais possible grâce à de nouveaux logiciels et outils, développés par des start-up et par les Notaires. Cette technologie a facilité la signature des actes pendant la crise sanitaire du printemps 2020. On parle alors d' "acte authentique électronique" ou "AAE". La sécurisation du processus a été permise par l'encadrement de la signature électronique et par la blockchain qui garde en mémoire les différents échanges.
En effet, la blockchain est une "technologie qui permet de garder la trace d'un ensemble de transactions, de manière décentralisée, sécurisée et transparente, sous forme d'une chaîne de blocs". Cette définition est rappelée par le Ministère de l'économie, des finances et de la relance.
Consultez l'article de l'INC "Coronavirus (Covid-19) : l'impact sur les ventes immobilières".
Il en est de même lors de la mise en location d'un immeuble. Des actes peuvent être réalisés en ligne, parfois à distance, tels que les états des lieux d'entrée, de sortie et les contrats de bail.
5 - L'exploitation et la gestion d'un immeuble ont également lieu sur le net.
Ce domaine est particulièrement vrai au sein des copropriétés. La mise en place des "extranet" permet aux copropriétaires de suivre la situation comptable de l'immeuble, de télécharger des documents, comme le règlement de copropriété ou l'appel de fonds du trimestre.
Si cette solution est pratique, il convient d'être vigilant sur la conservation des documents. Il convient de les sauvegarder régulièrement et d'y procéder encore plus attentivement lors d'un changement de syndic et donc éventuellement de logiciel. Les documents peuvent disparaitre.
Consultez l'article de l'INC "Comment décrypter un contrat de syndic ? Les 10 points essentiels".
6 - Enfin, de nombreux services numériques sont à disposition des usagers.
Les citoyens et collectivités locales peuvent utiliser les services de la "Smartcity" ou ville intelligente, créative et durable : développement d'une mobilité connectée entre les différents moyens de transport, sécurisation de l'espace public, gestion des déchets... Au sein des immeubles, le numérique sera également présent grâce aux objets connectés : volets automatiques, lumière et chauffage connectés pour un usage adapté à l'environnement, sécurisation de la maison ou de l'appartement... Selon une étude du baromètre QUALITEL réalisée par l'IPSOS en date du 25 septembre 2018, les Français percevaient comme services connectés, ceux qui répondent à un enjeu de protection du domicile ou des personnes. Ils souhaitaient notamment être "alertés en cas de fuite eau-gaz ou d'incendie" et que leur logement soit "surveillé à distance contre les intrusions".
Les habitants sont donc à la recherche de la sécurité, que semble leur apporter les services connectés. Le développement de ces outils a notamment été possible grâce au recours à la blockchain, qui permet de suivre et de certifier les données et les échanges enregistrés par chaque acteur. En outre, la responsabilité des acteurs sera certainement impactée par ces nouvelles technologies. Par exemple, les constructeurs pourraient voir leur responsabilité civile décennale engagée en raison de désordres touchant les installations domotiques. L'habitant semble donc protégé "physiquement et virtuellement" grâce aux nouvelles technologies. Mais est-ce réellement le cas ?
Sur la smart-city, consultez le site de "Smart Grids".
3.2 - La nouvelle technologie est-elle réellement au service de l'habitant ?
"Dans quinze ans, un cerveau numérique pilotera les chantiers", constat réalisé dans la publication "Le Moniteur" du 22 juin 2018. Dans treize ans maintenant, l'humain va donc disparaitre de l'orchestration et du suivi d'une construction. Le robot va donc guider les humains et devenir le chef d'orchestre. Pourtant, il est souvent indispensable pour rendre la machine utile à l'homme. Voici quelques exemples du duo incontournable humain / robot.
Un premier exemple de complémentarité numérique et humaine : l'état des risques et des pollutions
Par exemple, le site public "Georisques" fournit des informations très utiles pour connaître les risques sur le territoire français.
Extrait du site "Georisques" en date du 28 juin 2020 :
Il permet notamment de remplir un des diagnostics immobiliers devant être produits lors d'une location et d'une vente : "l'état des risques et des pollutions". Un formulaire est en ligne et peut être rempli à partir notamment des données publiées sur "Georisques".
Cependant, une analyse humaine est indispensable pour le remplir et ne pas faire d'erreurs en raison de la complexité des informations.
Consultez l'article de l'INC "Les diagnostics immobiliers en cas de vente, location immobilières ou dans une copropriété ? Le mémo".
Un deuxième exemple de complémentarité numérique et humaine : la prescription des consommations énergétiques
Les bâtiments Basse Consommation devaient respecter certains seuils de consommation énergétique. Ces seuils ont été repris par la dernière Réglementation Thermique : la RT 2012.
Des logiciels calculent et émettent des préconisations techniques pour obtenir une température optimale. Cependant, de nombreuses études ont fait état de différences entre les seuils préconisés par les logiciels et les ressentis des habitants. La machine ne peut pas encore imposer un mode de vie à l'humain.
L'apparition de nombreuses problématiques liées à l'utilisation des données personnelles
L'immobilier est, par définition, un secteur qui manipule de nombreuses données personnelles : données financières, comptables, de la vie privée... Ces données sont nombreuses et leur utilisation doit être très encadrée.
Cette problématique se pose pour le registre des copropriétés qui regroupe de nombreuses données sur toutes les copropriétés françaises. Le registre compile des informations et les rend disponible.
Il en est de même avec l'outil "Patrim" géré par le Ministère des Finances, qui recense l'ensemble des ventes immobilières et permet au contribuable d'avoir accès au prix de vente des différentes transactions à proximité de son domicile.
Ce débat existe également dans les appartements où le quotidien des habitants est enregistré par les objets connectés ou sur l'espace public où chaque déplacement des citoyens peut être enregistré. Il s'agit, par exemple, des compteurs Linky (qui ont été à l'orgine de vives polémiques) ou les traceurs d'activité.
Consultez l'article de l'INC "Compteur Linky et données personnelles, du nouveau depuis le 1er juillet 2018".
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) entré en vigueur le 25 mai 2018 apporte certains éléments de réponse pour protéger les données des citoyens. Cependant, son application reste complexe et ne peut régler toutes ces questions. Une étude de l'association UFC - QUE CHOISIR de mai 2019, soit un an après l'entrée en vigueur du RGPD, faisait ressortir que 17 % des sondés pensaient que la protection des données s'est plutôt dégradée.
Consultez l'article de l'INC "RGPD : quelle protection pour vos données personnelles ?"
Un impact sur la santé des citoyens ?
Le développement du numérique a fait l'objet de vifs débats au sujet de son impact sur la santé des humains. En témoignent par exemple les débats autour des compteurs Linky ou des antennes relais.
Consultez l'article de l'INC "Peut-on refuser l'installation d'un compteur Linky ?"
4 - LES ENJEUX DE LA DEMATERIALISATION DE L'INFORMATION : DU RENFORCEMENT DE LA PROXIMITE ENTRE INDIVIDUS A LA DESHUMANISATION
Les nouvelles technologies permettent à l'humain d'analyser des données qu'il ne pourrait faire par lui-même. Décuplant ses facultés, le numérique éloigne cependant l'humain de ses pairs.
4.1 - Un traitement difficile voire impossible des informations par l'humain
“Il vaut mieux faire l’information que la recevoir ; il vaut mieux être acteur que critique", disait Winston Churchill.
Les nouvelles technologies ont modifié l'accès à l'information. Cet état de fait ne peut être remis en cause. Mais cette modification est-elle uniquement positive ? Ou présente-t-elle des dangers ?
L'internaute a accès à une multitude d'informations. Cependant, comment acquérir toutes ces connaissances ? Comment savoir si elles sont vraies, vérifiées ? Comment les utiliser ?
“Face à la croissance explosive des techniques de communication de l'information, les capacités de notre cerveau d'acquérir, de stocker, d'assimiler et d'émettre de l'information sont restées inchangées”, a dit Pierre Joliot, chercheur. En effet, selon une citation bien connue, "Trop d'informations peut "tuer" l'information".
Dans ce cas, comment l'humain traite cet afflux d'information ? Ne fait-il pas un tri, une sélection parmi cette multitude d'informations ? Mais sur quels critères ? Les actions du marketing n'ont-elles pas cet objectif, l'objectif de prioriser l'information portée par l'entreprise pour que le lecteur la retienne ?
Pourtant, Pierre Joliot ajoutait que "la vocation première d'un chercheur est de créer de l'information nouvelle et non pas de manipuler d'une manière de plus en plus élaborée l'information déjà disponible".
Cette remarque remet en question les utilisations des datas par les différents logiciels, outils... Peut-on, dans ce cas, créer une justice à partir des bases de données ? Ne manipule-t-on pas une information disponible mais qui ne s'appliquera peut-être pas au cas d'espèce ?
Ces questions rejoignent une pensée d'Albert Einstein. “La connaissance s'acquiert par l'expérience, tout le reste n'est que de l'information”. Ainsi, peut-on créer une solution à partir d'un amas d'informations sans analyse ?
“Quiconque a essayé un jour d'entrer dans Internet sait qu'il ne faudrait pas parler d'«autoroutes» de l'information mais plutôt de labyrinthes”, déclarait Jacques Attali, en 1995, dans le Journal "Le Monde". Il est impossible de connaitre et de maitriser les coulisses d'internet. Les informations publiées n'appartiennent plus à leur détenteur initial. Ainsi, se pose la question des données publiques qui ne sont accessibles qu'à certains profils. Finalement, la mise en ligne ne conduit-elle pas à une diffusion généralisée ? La protection des données n'est-elle pas illusoire ? La vie privée des citoyens n'est-elle pas devenue publique ?
L'accès à l'information, apparemment simplifié, peut être complexifié par le traitement qu'en font les algorithmes. Il est difficile d'avoir une information "brute", qui est souvent la base d'un raisonnement. Il convient de vérifier l'exactitude de l'information produite. Cette démarche est très difficile pour le citoyen, mais la procédure de labellisation pourrait pallier cette difficulté si le signe de qualité est délivré par un organisme sûr et lui-même contrôlé.
4.2 - Une déshumanisation des rapports humains
Internet a permis de rapprocher les Hommes, grâce aux réseaux sociaux notamment. La "civic tech", par exemple, veut favoriser la participation des citoyens. Habitants et collectivités peuvent dialoguer ensemble sur des plateformes numériques.
A première vue, cette évolution est positive en raison de la distance souvent reprochée entre élus, administrations et citoyens. Mais l'institution sera-t-elle en capacité de lire l'ensemble des éléments ? De les analyser ? De comprendre ce que veut dire tel ou tel commentaire ? Un dialogue en présentiel ne permet-il pas une avancée plus significative ?
Les nouveaux outils développés sur Internet ne vont-ils pas conduire à un renforcement du pouvoir de la machine, du robot ? L'Homme sera jugé par la machine, le pouvoir est dévolu à l'ordinateur. Si on fait abstraction de cet aspect, comment vérifier que la solution est justifiée, qu'elle est correcte ? "Un exemple n'est pas forcément un exemple à suivre", précisait déjà Albert Camus en 1942.
Un accès renforcé et démocratisé à l'information permet de réduire entre les classes sociales, mais la dématérialisation de l'information ne va-t-elle pas renforcer la domination de la machine sur l'humain ? A la place de l'expression "Révolution technologique", ne doit-on pas parler de "Robolution" ? Si l'intelligence artificielle est défaillante, qui jugera le robot ? Un autre robot ? L'humain devra-t-il créer un droit des robots ?
“Il est de la responsabilité de tous de veiller à ce que les nouveaux moyens de diffusion de l'information se traduisent par un enrichissement, et non un appauvrissement du patrimoine culturel mondial", précisait Pierre Joliot. Quel serait un monde où l'information serait détenue uniquement par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ou les BATX ("GAFA chinois dont Alibaba") ?
Virginie POTIRON,
Juriste à l'Institut national de la consommation