Vers une remise en cause de l'absence de rétractation dans les foires et salons ?
Jurisprudence
A l'occasion d'une question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) est venue préciser la notion d’ "établissement commercial".
La question préjudicielle permet aux juridictions nationales, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la CJUE. Elle va, par exemple, donner des précisions sur l’interprétation du droit de l’Union européenne mais en aucun cas elle ne va trancher le litige. Cela appartient à la juridiction nationale auteure de la saisine. |
FAITS
En Allemagne, un consommateur achète sur une foire un bien domestique à 1 600 €, auprès d'un professionnel vendant exclusivement sur des foires. A l'occasion d'un litige, une association allemande de consommateurs estime que le professionnel a manqué a son obligation d'information relative au droit de rétractation puisque, selon elle, le contrat de vente était conclu hors d'un établissement commercial.
La question résidait donc dans la qualification du contrat conclu sur le stand de la foire et donc de la nature de ce dernier. S'il s'agissait d'un "établissement commercial" au sens de l'article 2 de la directive 2011/83 du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, aucun droit de rétractation ne s'appliquait. Dans le cas contraire, le professionnel devait accorder au consommateur un droit de rétractation et en informer ce dernier.
L'association a saisi le tribunal régional de Fribourg afin de demander le respect par le professionnel de son obligation d'information relative au droit de rétractation. Cette demande a été rejetée et l'appel devant le Tribunal régional supérieur de Karlsruhe a été interjeté. L'association a alors formé un recours en révision devant la Cour fédérale de justice.
Cette dernière estime que la directive de 2011 n'est pas précise sur les critères permettant d'apprécier l'exercice d'une activité de "manière habituelle", renvoyant à la définition d'établissement commercial. En conséquence, elle décide de poser notamment la question préjudicielle suivante : "Un stand situé dans un hall d’exposition, qui est utilisé par un professionnel pendant une foire qui se tient quelques jours par an en vue de vendre ses produits, constitue-t-il un [établissement commercial] au sens de la directive de 2011" ?
Le législateur français considère que les contrats conclus dans les foires sont des contrats conclus dans l'établissement commercial du professionnel. A ce titre, ils ne sont pas accompagnés d'un droit de rétractation.
DECISION DE LA CJUE
La CJUE, tout en confirmant qu'aucune définition de l'activité exercée "de manière habituelle" n'est apportée par la directive de 2011 et qu'aucun renvoi n'est fait aux droits nationaux d'en préciser ces termes, considère que l'expression "de manière habituelle" doit renvoyer au caractère normal de l'exercice de l'activité sur le site concerné.
L'apparence du stand aux yeux du public doit dès lors être prise en compte et plus particulièrement la perception du consommateur moyen (normalement informé, raisonnablement attentif et avisé).
Tout en s'appuyant sur sa jurisprudence antérieure (CJCE, 22 avril 1999, affaire C-423/97, Travel Vac SL), les juges européens estiment qu' "un stand [...] tenu par un professionnel sur une foire [...], sur lequel il exerce ses activités quelques jours par an, est un "établissement commercial" [...] si, au regard de l’ensemble des circonstances de fait qui entourent ces activités, et notamment de l’apparence de ce stand et des informations relayées dans les locaux de la foire [...], un consommateur [moyen] pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce professionnel y exerce ses activités et le sollicite afin de conclure un contrat".
A ce titre, la durée de la foire n’est pas déterminante puisque le considérant 22 de la directive de 2011 prévoit que l’établissement où le professionnel exerce son activité à titre saisonnier peut constituer un "établissement commercial".
La CJUE renvoie au juge national l'appréciation de l'apparence du stand concerné. Cette décision peut donc être critiquable puisqu'elle conduit à apprécier au cas par cas chaque vente faite au sein d'une foire. En effet, si le consommateur achète un bien auprès d'un professionnel qui vend occasionnelement dans les foires car possédant un magasin dans lequel il commercialise habituellement ce bien, le consommateur bénéficiera d'un droit de rétractation. En revanche, si le consommateur achète un bien auprès d'un professionnel qui vend habituellement dans les foires, il ne pourra pas bénéficier d'un droit de rétractation puisque le contrat ne pourra pas être qualifié de "hors établissement".
> CJUE, 7 août 2018, aff. C-485/17, Verbraucherzentrale berlin eV c/ Unimatic Vertriebs GmbH
Camille Minaud,
Juriste à l'Institut national de la consommation (INC)